LAURÉATS ET PERSONNALITÉ — Renaud Manuguerra : repousser les limites de la science-fiction

Émilie Pelletier, rédactrice en chef, revue Dire

LAURÉATS ET PERSONNALITÉ — Renaud Manuguerra : repousser les limites de la science-fiction

Crédit photo : Gaëlle Chognard

« Si je vous dis qu’il est possible de […] faire repousser [un œil] de l’intérieur, est-ce que j’ai toujours votre attention? » Renaud Manuguerra a en tout cas capté la mienne avec son exposé de trois minutes, diffusé en ligne[i], qui lui a fait remporter la troisième place de l’édition nationale du concours Ma thèse en 180 secondes de l’Association francophone pour le savoir (Acfas). Le 25 septembre 2014, le doctorant en sciences biomédicales de l’Université de Montréal participera à la grande finale internationale du concours. Voici le portrait d’un chercheur pour qui la vulgarisation scientifique est un vrai choix de carrière.

C’est dans ses cours de premier cycle que les cellules souches ont commencé à fasciner Renaud Manuguerra : « Elles n’étaient pas encore très connues — elles ne le sont toujours pas, en fait! Mais elles promettaient des choses qui s’apparentaient à de la science-fiction : la reconstruction d’organes, la réparation de blessures… Tout ça a alimenté mon imaginaire. » Aujourd’hui en fin de parcours doctoral, sous la supervision des docteurs Denis Claude Roy et Mark Lesk, il travaille sur le glaucome, une maladie qui fait perdre graduellement la vue en raison d’une hausse de la pression dans l’œil. « J’utilise des cellules souches, que l’on retrouve en tout temps chez l’adulte, pour réparer les parties de l’œil contrôlant la pression et ainsi arrêter la progression de la maladie. » Insérées dans l’œil, ces cellules souches ordonnent aux cellules en place de s’activer à la guérison du tissu — l’organe se répare de l’intérieur. Cette technique pourrait avoir des conséquences majeures sur l’ensemble de la médecine. Peut-on envisager qu’un jour, grâce aux cellules souches, tous les organes humains se répareront d’eux-mêmes?

Le grand potentiel — et le vaste mystère — des cellules souches

Toujours aussi captivé par les cellules souches qu’il l’était au baccalauréat, le chercheur constate néanmoins qu’il reste beaucoup à apprendre sur le sujet et que les avancées seront sans doute plus lentes que ce que la communauté scientifique avait pu croire il y a quelques années à peine :

Au début, la plupart des chercheurs disaient qu’on arriverait très vite à utiliser les cellules souches à toutes sortes de fins. Mais on a heurté plusieurs murs. Beaucoup des mécanismes d’action des cellules souches nous restent inconnus, et il est donc difficile de les imiter.

Si cette notion d’imitation est cruciale, c’est que les cellules souches qui sont naturellement pluripotentes (celles qui permettent de produire pratiquement tous les autres types de cellules) ne peuvent être obtenues qu’en détruisant des embryons humains. Cette pratique soulève évidemment d’importants questionnements éthiques qui ont d’ailleurs fait l’objet de grandes controverses politiques et médiatiques au cours des dernières années.

Pour contourner cette question délicate, des scientifiques ont réussi en 2006 à créer des cellules souches embryonnaires artificielles :

Normalement, une cellule de peau ne pourra être rien d’autre qu’une cellule de peau. Dans son code génétique, les seuls éléments qui sont activés sont ceux qui lui permettent de faire des cellules de peau. Tout le reste est verrouillé. Or, des chercheurs ont récemment trouvé le moyen de faire sauter ces cadenas et de ramener ces cellules à un état moins différencié, qui leur permet beaucoup plus de possibilités. 

Le problème, c’est qu’on ne connaît pas encore toutes les étapes pour guider une cellule artificielle jusqu’au point final où on veut l’amener. Si on veut créer des neurones, ou des photorécepteurs dans l’œil, certaines étapes nous manquent encore.

Une autre possibilité, celle qu’explore Renaud Manuguerra, est d’utiliser des cellules souches tirées de corps adultes. Elles sont plus spécialisées que les cellules embryonnaires — certaines créent tout ce qui est sanguin (plasma, plaquettes, globules rouges, etc.), d’autres peuvent régénérer les tissus de soutien du corps (os, tendons, gras, tissus conjonctifs). Bien qu’elles ne soient pas aussi polyvalentes que les cellules souches embryonnaires, le travail de Renaud sur la correction du glaucome prouve qu’elles peuvent néanmoins engendrer des résultats fascinants!

Ma thèse en 180 secondes : un défi et un test de carrière

Après avoir remporté (ex æquo) le premier prix d’un concours similaire organisé par le Centre INRS–Institut Armand-Frappier en 2013, le doctorant s’est inscrit à Ma thèse en 180 secondes. Il s’est classé premier parmi tous les participants de l’Université de Montréal, puis a obtenu la troisième place à la finale interuniversitaire nationale, en mai 2014. « Pour moi, c’était surtout un défi. Je voulais voir si j’étais capable d’intéresser les gens à mes recherches, tester l’idée de faire une carrière en vulgarisation scientifique. » Car la vulgarisation enthousiasme Renaud Manuguerra. Lui qui avait pensé étudier en communication avant de choisir les sciences aura trouvé le moyen de concilier les deux : « Une fois à la maîtrise, j’ai eu l’occasion de participer à de nombreux concours de présentations, tant dans mon centre de recherche que dans des congrès nationaux et internationaux. C’était ce que je préférais de mes études supérieures. » Et il brille dans ce domaine. Il a remporté le premier prix de 13 concours récompensant les meilleures publications, présentations ou affiches. « Après un moment, je me suis rendu compte que mes deux champs d’intérêt pouvaient être complémentaires et j’ai fait un certificat en journalisme. »

Après avoir terminé ce nouveau diplôme et tout en continuant ses études doctorales, le chercheur a fait un stage pour le magazine Découvrir de l’Acfas, a enseigné à l’université et a commencé à contribuer à Scilabus[ii], le blogue de vulgarisation scientifique d’une ancienne lauréate de Ma thèse en 180 secondes. Une fois ses études terminées, il a l’intention de poursuivre son travail de vulgarisation auprès des étudiants et du grand public.

L’importance de la vulgarisation scientifique

Pour Renaud Manuguerra, il est essentiel de parler de science à un vaste auditoire, et ce, pour au moins deux raisons. D’une part, cela peut contribuer à maintenir le financement public de la recherche :

En ce moment, on est dans un univers de plus en plus connecté à la science, mais les gens semblent tenir tout ça pour acquis. Or, la science a besoin d’être financée correctement par des organismes publics et des gouvernements. Le privé demande des résultats précis : trouver tel remède à telle maladie, par exemple. La recherche publique est importante, parce qu’elle donne une liberté aux chercheurs et leur permet de trouver des choses imprévues. Si les budgets publics diminuent (comme c’est le cas actuellement), la qualité de la recherche baissera, on en parlera de moins en moins, et le cercle vicieux se poursuivra. À l’inverse, si on réussit à intéresser le public à la science, il risque moins de voter pour des gens qui voudront en réduire le financement.

D’autre part, explique-t-il, la vulgarisation permet de veiller à l’intérêt général et de combattre la désinformation :

Si peu de scientifiques parlent de science, cela laisse beaucoup de place à ceux et celles qui utilisent la science comme prétexte pour vendre des objets supposément miracles ou faire avancer leurs croyances. Si les scientifiques ne prennent pas la place qui leur revient, quelqu’un d’autre la prendra et l’utilisera à ses propres fins.

Le doctorant estime que le milieu universitaire a encore beaucoup à faire en ce domaine pour rejoindre le grand public. Beaucoup des concours de vulgarisation auxquels il a lui-même participé s’adressaient à un public spécialisé. Il souligne également que les étudiants et les chercheurs qui s’impliquent dans des activités de vulgarisation le font généralement par initiative personnelle. Non seulement leur faut-il chercher les occasions de vulgariser et les manières de se perfectionner dans ce domaine, mais la vulgarisation semble peu encouragée, voire parfois méprisée dans la communauté scientifique. Même dans le milieu anglophone, en apparence un peu plus actif en ce domaine, la plupart des initiatives de vulgarisation destinées au grand public (pensons notamment aux blogues) relèvent principalement de démarches personnelles et non institutionnelles.

Pour appuyer l’une de ces initiatives plus structurées, nous vous invitons à aller encourager Renaud Manuguerra à la finale internationale de Ma thèse en 180 secondes, qui réunira le 25 septembre à l’UQAM des finalistes du Québec, de la Belgique, du Maroc et de la France. Et surveillez l’appel de propositions que lancera cet automne l’Acfas pour l’édition 2015 de ce concours!

Ajout du 10 octobre 2014 : Renaud a finalement remporté la troisième place à la finale internationale! Félicitations!


[i] « Ma thèse en 180 secondes : Renaud Manuguerra-Gagné, 3e prix du jury », https://www.youtube.com/watch?v=B1A-jD9VdIM, 28 mai 2014.

[ii] Lalande, Viviane. Scilabus, http://scilabus.com, 25 juin 2014.

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