SANTÉ — La dépression, carence émotive ou biologique?

Marc Fakhoury — Programme de doctorat en neurosciences

SANTÉ — La dépression, carence émotive ou biologique?

Bien que la dépression soit une des maladies mentales les plus fréquentes, ses mécanismes biologiques demeurent obscurs. Comment se manifeste-t-elle? Quels sont les traitements efficaces pour la traiter? Une meilleure compréhension de la neurobiologie de cette maladie favorisera le développement de nouveaux traitements antidépresseurs et permettra d’améliorer l’état des patients dépressifs. Bref tour d’horizon des avancées technologiques et des découvertes les plus pertinentes dans le domaine.

La dépression ne discrimine pas : elle peut affecter les enfants, les adolescents ou les adultes partout dans le monde, quels que soient leur âge ou leur origine ethnique[i]. Elle se caractérise par une faible estime de soi, une baisse de l’humeur et une perte notable de plaisir. De plus, un fort taux de suicide est observé chez les personnes atteintes de dépression. L’acteur américain Robin Williams, qui s’est enlevé la vie en août dernier, en souffrait d’ailleurs. Les causes les plus probables de la dépression sont d’origines génétique, psychologique et héréditaire. En analysant les variations génétiques chez plusieurs individus, une étude effectuée aux États-Unis en 2001 a confirmé l’importance des facteurs génétiques dans l’apparition de la dépression et a démontré que cette maladie est souvent transmise aux enfants des personnes qui en sont atteintes[ii]. Toutefois, bien que des études aient montré un lien entre la génétique et la dépression, cette maladie est principalement liée à des facteurs environnementaux tels que le stress. Elle est souvent le résultat d’une expérience émotionnelle traumatique, mais peut aussi être précipitée par des agents pharmacologiques ou par l’abus de drogues[iii]. Une meilleure compréhension des mécanismes biologiques de la dépression et de l’interaction entre les facteurs génétiques et environnementaux permettra de mieux combattre cette maladie et d’envisager de nouveaux traitements.

Difficile à diagnostiquer, difficile à soigner?

Bien que personne n’en soit à l’abri, le trouble dépressif majeur affecte tout de même principalement des individus âgés de 20 à 30 ans. Sa prévalence est aussi plus élevée chez les femmes, ce qui est la plupart du temps dû à des changements hormonaux : lors d’une grossesse, de la puberté et des menstruations[iv]. Il est très difficile pour les médecins de diagnostiquer la dépression parce que cette maladie se manifeste souvent par des symptômes non physiques. Conséquemment, le diagnostic du trouble dépressif est principalement basé sur les expériences personnelles déclarées par le patient, ainsi que sur un examen de son état mental.

Des outils de neuro-imagerie peuvent également être employés pour le diagnostic de la dépression, car ils aident à étudier la biologie sous-jacente à ce trouble cérébral. La technique la plus couramment utilisée est l’imagerie par résonance magnétique (IRM), qui peut évaluer le niveau de métabolites biochimiques dans le cerveau. Il a été démontré que des variations du niveau de plusieurs composés organiques dans le cerveau peuvent être associées à l’apparition des troubles dépressifs[v]. D’autres technologies telles que la tomographie par émission de positons (TEP) et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) sont également utilisées pour le diagnostic de la dépression, et s’avèrent plus efficaces que l’IRM dans la visualisation de l’activité cérébrale et des variations du flux sanguin dans le cerveau[vi]. La magnétoencéphalographie (MEG) permet quant à elle de détecter la dépression en mesurant des champs magnétiques induits par l’activité électrique des neurones du cerveau. Le Centre de recherche en neuropsychologie et cognition de l’Université de Montréal, dirigé par le Dr Pierre Jolicœur, détient l’un des quatre plus puissants appareils de MEG au Canada. Cet appareil est largement employé dans la recherche en neurosciences cognitives, avec une visée clinique en neurologie et en cardiologie. Il permet plus particulièrement l’étude de l’activité cérébrale, tant chez les individus sains que chez ceux souffrant de diverses pathologies[vii]. Le recours à ces technologies d’imagerie cérébrale entraîne une meilleure compréhension des mécanismes neurobiologiques de la dépression.

Dépression et plasticité cérébrale

Grâce à l’avancement de la technologie médicale, les scientifiques sont en mesure d’étudier les anomalies associées à la dépression en analysant les altérations de la taille et de l’activité de certaines structures cérébrales[viii]. Une étude publiée en 2013 a par exemple montré qu’une perte des neurones de l’hippocampe, qui jouent un rôle dans la mémoire et l’orientation spatiale, a lieu chez certaines personnes déprimées[ix]. De plus, les patients souffrant de dépression ont souvent une réduction significative de volume bilatéral dans l’amygdale[x]. Cette structure, qui fait partie du système limbique, joue un rôle majeur dans la prise de décision et les réactions émotionnelles. Une diminution de son volume est souvent à l’origine de troubles de la personnalité tels que l’apparition d’un caractère agressif.

En outre, les patients déprimés présentent souvent une diminution de volume des noyaux gris centraux, du thalamus et du cortex frontal[xi]. Les noyaux gris centraux contribuent à la régulation de l’émotion, alors que le thalamus a pour fonction de contrôler la conscience et l’attention. Le cortex frontal joue quant à lui un rôle important dans l’émotion et la mémoire à long terme. Les personnes chez qui est observée une diminution de volume de ces structures sont donc plus susceptibles d’éprouver des symptômes de dépression. D’autres régions cérébrales sont aussi impliquées dans la dépression, comme le cortex cingulaire, qui régule le comportement et les réponses émotionnelles, et le cervelet, qui participe à la régulation des réactions de peur et de plaisir. Chez les patients souffrant de dépression, l’activité du cortex cingulaire est plus élevée par rapport à celle des individus sains[xii], alors que le cervelet est généralement de plus petite taille[xiii]. Ces modifications entraînent une difficulté à prendre une décision et à gérer ses propres émotions, et aggravent souvent les symptômes dépressifs du patient.

Des études ont également montré qu’une altération dans la transmission de l’influx nerveux est responsable de l’apparition de la dépression. En effet, les symptômes spécifiques de cette maladie sont associés à une augmentation ou une diminution de neurotransmetteurs comme la dopamine et la sérotonine[xiv]. La dopamine module l’attention et la motivation, et son dérèglement est étroitement lié à l’apparition des troubles dépressifs[xv]. Dans le cas de la sérotonine, qui influe sur l’anxiété et les comportements alimentaires, les études indiquent qu’elle est présente en faible quantité chez les personnes atteintes de dépression[xvi]. Ceci peut être le fait d’une diminution de sa production dans les cellules cérébrales, ou bien d’une difficulté à atteindre les sites récepteurs des cellules. Ces études suggèrent que les symptômes dépressifs sont régis par des mécanismes neurochimiques très précis, ce qui offre une nouvelle piste pour guérir la dépression.

Peut-on guérir de la dépression?

Il existe plusieurs moyens de traiter la dépression, mais les médecins prescrivent le plus souvent des médicaments. La pharmacothérapie fait appel à l’usage d’antidépresseurs, regroupés en trois catégories : les inhibiteurs de la monoamine oxydase, les antidépresseurs tricycliques et les antidépresseurs de seconde génération.

Les inhibiteurs de la monoamine oxydase, découverts dans les années 50, freinent de façon sélective l’activité de certains neurotransmetteurs et permettent ainsi de soigner les troubles d’humeur. Ils sont souvent utilisés comme traitement de première ligne[xvii]. Les antidépresseurs tricycliques ont aussi été découverts au début des années 50.  Ces composés chimiques favorisent principalement l’amélioration de la neurotransmission dans le cerveau[xviii]. Bien qu’ils soient considérés comme très efficaces pour atténuer les symptômes dépressifs, ils sont de plus en plus remplacés par les antidépresseurs de seconde génération, qui présentent moins d’effets secondaires. Il a par exemple été démontré que des patients traités avec des antidépresseurs de seconde génération comme le citalopram et l’escitalopram voient l’intensité de leurs symptômes diminuer, jouissant d’une amélioration de leur condition pouvant aller jusqu’à 80 %, mais ils peuvent tout de même présenter des effets secondaires tels que fatigue et nausée[xix]. Un autre traitement utilisé est la thérapie par électrochocs (électroconvulsivothérapie), qui est généralement réservée aux patients déprimés qui ne répondent pas favorablement à la pharmacothérapie. Cette technique agit en améliorant la fonction de plusieurs neurotransmetteurs importants, y compris la dopamine et la sérotonine. Cette thérapie est considérée comme très efficace, mais son administration est techniquement plus difficile pour le patient, car elle nécessite plusieurs séances par semaine, et son utilisation est plus coûteuse et moins sécuritaire que les traitements conventionnels. Bien que la thérapie par électrochocs constitue un traitement de derniers recours, sa pratique a connu une forte progression au Québec : plus de 8 000 administrations ont été enregistrées en 2003, une statistique qui continue d’augmenter[xx].

Approches expérimentales pour étudier la dépression

Plusieurs expériences ont été conduites afin de comprendre la neurobiologie des troubles dépressifs, telles que l’approche de la bulbectomie olfactive chez le rat[xxi]. Cette mesure consiste à enlever chirurgicalement les bulbes olfactifs, entraînant chez les rongeurs des changements biochimiques et comportementaux similaires à ceux observés chez les patients dépressifs. Cette intervention produit également l’anhédonie, qui se manifeste par l’incapacité d’un individu à ressentir des émotions positives. Bien qu’il existe plusieurs autres approches dans l’étude de la dépression, la bulbectomie olfactive s’est révélée la plus efficace, car elle permet une meilleure corrélation physiologique des troubles endocriniens et des changements comportementaux par rapport à d’autres expérimentations animales.

Une autre étude intéressante, effectuée par l’équipe du Dr Stephen Ferguson de l’Université Western Ontario, a montré une corrélation entre le stress et la dépression chez les animaux[xxii]. En injectant une neurohormone, la corticolibérine, dans le cortex préfrontal de souris, les chercheurs ont d’abord induit un comportement d’anxiété. Ils ont ensuite réussi à établir un lien biologique entre l’anxiété, le stress et la dépression. En effet, la corticolibérine, qui est activée en réponse au stress, favorise la recapture de la sérototine par les cellules synaptiques et entraîne une augmentation de l’anxiété et des symptômes dépressifs. Ainsi, les symptômes associés aux troubles anxieux, plus particulièrement la fatigue, le manque de sommeil et l’isolement social, risquent d’entraîner une dépression s’ils ne sont pas pris au sérieux.

Comment la recherche évoluera-t-elle?

La dépression ne résulte pas d’une carence émotive. Elle découle de modifications importantes touchant la structure et la fonction de plusieurs régions cérébrales, qui entraînent des conséquences neurobiologiques. Ce trouble mental est causé par l’effet cumulatif de facteurs génétiques et environnementaux. Au plan moléculaire, il est associé à un niveau anormal de neurotransmetteurs dans le cerveau. Les recherches futures devront se concentrer sur la localisation des régions cérébrales et l’analyse des mécanismes neurobiologiques impliqués dans la dépression. En comprenant mieux la neurobiologie de cette maladie, les scientifiques pourront orienter leurs recherches sur la synthèse de nouveaux médicaments qui cibleront des molécules


[i] HAGGERTY, Jim. « Risk factors for depression », http://psychcentral.com/lib/risk-factors-for-depression/00058, 24 septembre 2014.

[ii] KLEIN, Daniel, Peter LEWINSOHN, John SEELEY et Paul ROHDE. « A family study of major depressive disorder in a community sample of adolescents », Archives of General Psychiatry, vol. 58, no 1, 2001, p. 13-20.

[iii] KENNESON, Aileen, Jennifer FUNDERBURK et Stephen MAISTO. « Substance use disorders increase the odds of subsequent mood disorders », Drug and Alcohol Dependence, vol. 133, no 2, 2013, p. 338-343.

[iv] WEISSMAN, Myrna et Jeffrey BOYD. « Epidemiology of affective disorders. A reexamination and future directions », Archives of General Psychiatry, vol 38, no 9, 1981, p. 1039-1046.

VILLANUEVA, Rosa. « Neurobiology of major depressive disorder », Neural Plasticity, vol. 2013, no 873278, septembre 2013, p. 1-7.

[v] SANCORA, Gerard, Graeme MASON, Douglas ROTHMAN, Kevin BEHAR, Fahmeed HYDER, Ognen PETROFF, et collab. « Reduced cortical gamma-aminobutyric acid levels in depressed patients determined by proton magnetic resonance spectroscopy », Archives of General Psychiatry, vol. 56, no 11, novembre 1999, p. 1043-1047.

HASLER, Gregor, Jan Willem VAN DER VEEN, Toni TUMONIS, Noah MEYERS, Jun SHEN et Wayne C. DREVETS. « Reduced prefrontal glutamate/glutamine and gamma-aminobutyric acid levels in major depression determined using proton magnetic resonance spectroscopy », Archives of General Psychiatry, vol. 64, no 2, 2007, p. 193-200.

[vi] FORBES, Erika. « fMRI studies of reward processing in adolescent depression », Neuropsychopharmacology, vol. 36, no 1, 2011, p. 372-373.

MOORE, Amy, Cheri OSTEEN, Arion CHATZIIOANNOU, David HOVDA et Simon CHERRY. « Quantitative assessment of longitudinal metabolic changes in vivo after traumatic brain injury in the adult rat using FDG-microPET », Journal of Cerebral Blood Flow & Metabolism, vol. 2000, no 20, 2000, p. 1492-1501.

[vii] DUPONT, Luc. « Le CERNEC : à la croisée de la neuropsychologie et de la cognition », Recherche en santé, vol. 2010, no 44, mars 2010, p. 36-47.

[viii] NASIR, Nazim et Mohammad ASAD. « Effects of stress induced chronic depression and antidepressant drugs on CA4 region of hippocampus in adult albino rats », International Journal of Current Research, vol. 5, no 4, avril 2013, p. 943-944.

[ix] NASIR et ASAD, op. cit., p. 943-944.

[x] MARCHAND, William, Valentina DILDA et Cody Roy JENSEN. « Neurobiology of mood disorders », Hospital Physician, vol. 41, no 9, 2005, p. 17-26.

[xi] KEMPTON, Matthew, Zainab SALVADOR, Marcus MUNAFO, John GEDDES, Andrew SIMMONS, Sophia FRANGOU, et collab. « Structural neuroimaging studies in major depressive disorder. Meta-analysis and comparison with bipolar disorder », Archives of General Psychiatry, vol. 68, no 7, 2011, p. 675-690.

[xii] MARCHAND, et collab., op. cit., p. 17-26.

[xiii] HEIMER, Lennart. « A new anatomical framework for neuropsychiatric disorders and drug abuse », American Journal of Psychiatry, vol. 160, no 10, 2003, p. 1726-1739.

[xiv] NUTT, David. « Relationship of neurotransmitters to the symptoms of major depressive disorder », Journal of Clinical Psychiatry, vol. 69, no E1, 2008, p. 4-7.

[xv] NUTT, op. cit., p. 4-7.

GALANI, Varsha et Rana DIGVIJAY. « Depression and antidepressants with dopamine hypothesis-A review », International Journal of Pharmaceutical Frontier Research, vol. 1, no 2, 2011, p. 45-60.

[xvi] COPPEN, Alec. « The biochemistry of affective disorders », The British Journal of Psychiatry, vol. 113, no 504, 1967, p. 1237-1264.

[xvii] LIEBOWITZ, Michale, Eric HOLLANDER, Franklin SCHNEIER, Raphael CAMPEAS, Lawrence WELKOWITZ, Julie HATTERER, et collab. « Reversible and irreversible monoamine oxidase inhibitors in other psychiatric disorders », Acta psychiatrica Scandinavica Supplementum, vol. 360, 1990, p. 29-34.

[xviii] GILLMAN, Ken. « Tricyclic antidepressant pharmacology and therapeutic drug interactions updated », British Journal of Pharmacology, vol. 151, no 6, 2007, p. 737-748.

[xix] GORMAN, Jack, Andrew KOROTZER et Gregory SU. « Efficacy comparison of escitalopram and citalopram in the treatment of major depressive disorder: pooled analysis of placebo-controlled trials », CNS spectrum, vol. 7, no 4, 2008, p. 40-44.

[xx] BANKEN, Reiner. « L’utilisation des électrochocs plus près de nous que l’on pense! », Info choquée express, vol. 3, no 3, octobre 2010, p. [1-3].

[xxi] ROMEAS, Thomas, Marie-Claude MORISSETTE, Ouissame MNIE-FILALI, Graciela PINEYRO et Sandra BOYE. « Simultaneous anhedonia and exaggerated locomotor activation in an animal model of depression », Psychopharmacology, vol. 205, no 2, 2009, p. 293-303.

[xxii] MAGALHAES Ana, Kevin HOLMES, Lianne DALE, Laetitia COMPS-AGRAR, Dennis LEE, Prem YADAV, et collab. « CRF receptor 1 regulates anxiety behavior via sensitization of 5-HT2 receptor signaling », Nature Neuroscience, vol. 13, no 5, mai 2010, p. 622-629.

2 réflexions au sujet de « SANTÉ — La dépression, carence émotive ou biologique? »

  1. Bonjour,

    L’article semble incomplet, il se termine en plein milieu d’une phrase: « En comprenant mieux la neurobiologie de cette maladie, les scientifiques pourront orienter leurs recherches sur la synthèse de nouveaux médicaments qui cibleront des molécules »

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