CHRONIQUE — Les enfants du Big Bang

Robert Lamontagne — Astrophysicien

CHRONIQUE — Les enfants du Big Bang

Robert Lamontagne est astrophysicien. Depuis peu à la retraite, il a été, pendant plus de 30 ans, chercheur et chargé de cours à l’Université de Montréal, astronome-ingénieur et directeur du télescope de l’Observatoire du Mont-Mégantic, ainsi que coordonnateur du Centre de recherche en astrophysique du Québec.

Depuis un an, les images obtenues par le télescope spatial James Webb émerveillent. Que ces images montrent des nébuleuses, des amas d’étoiles ou des galaxies, elles sont toutes spectaculaires ! Beaucoup révèlent des centaines, voire des milliers de galaxies lointaines, jamais vues auparavant. Or, il y a moins d’un siècle, les premières observations de galaxies distinctes de la Voie lactée, entraînées dans un mouvement d’expansion, vont conduire à la plus grande découverte de l’astronomie contemporaine : celle de l’histoire de l’Univers. 

Au tournant du 20e siècle, la vaste majorité des astronomes estime que l’Univers est constitué d’une seule galaxie, la Voie lactée, qu’il est statique et qu’il existe depuis toujours. Or, peu après l’inauguration, en 1917, du grand télescope de 2,5 m du mont Wilson, en Californie, les observations d’Edwin Hubble, combinées aux travaux de Vesto Slipher, d’Henrietta Swan Leavitt et de Georges Lemaître, vont mener à la découverte des autres galaxies et de l’expansion de l’Univers. En moins d’une décennie, les contributions de ces figures marquantes de l’astronomie jetteront les bases de ce qui est aujourd’hui connu comme « la théorie du Big Bang ».

Comment décrire le Big Bang en quelques lignes ? Déjà, vous avez mis environ trois secondes pour lire la dernière phrase. Or, pendant ce court laps de temps, l’Univers a déjà achevé le gros de son travail de création, ou presque. En effet, trois secondes après sa naissance, l’Univers est déjà peuplé de tous les protons, de tous les neutrons et de tous les électrons qui existent aujourd’hui. Un mélange de cent millions de trillions de trillions de trillions de trillions (1 suivi de 80 zéros !) de particules, virevoltant sans cesse dans toutes les directions. Quatre forces prêtes à organiser toutes ces particules sont aussi déjà présentes : la force gravitationnelle pour les planètes, les étoiles et les galaxies, la force électromagnétique pour les atomes, les molécules et les structures biologiques, et deux forces nucléaires pour structurer les noyaux atomiques.

Mais revenons à la question de départ : « Qu’est-ce que le Big Bang ? ». C’est une théorie, un modèle, qui explique comment l’énergie et la matière apparaissent et s’organisent au fil du temps ou, autrement dit, comment l’ordre, l’organisation et la complexité peuvent naître du chaos. C’est une histoire qui raconte pourquoi des étoiles, des planètes et de la vie se trouvent tout autour de nous, plutôt qu’un mélange aléatoire de particules et d’énergie.

Le fil conducteur dans la théorie du Big Bang est la variation de la température, au fur et à mesure que le temps s’écoule. Notre univers est en expansion. Partout, l’espace s’étire dans toutes les directions. Cette expansion dilue l’énergie et les particules, et donc diminue la température moyenne dans l’Univers. Or, le degré d’organisation de la matière dépend de la température.

À titre d’exemple, imaginez une pièce remplie de vapeur d’eau très chaude. La vapeur est désorganisée, désordonnée. Cependant, abaissez la température dans la pièce et des gouttelettes d’eau se forment sur ses parois ; l’ordre et la complexité commencent à apparaître. Refroidissez l’air davantage et vous assistez à la formation des premiers cristaux de glace, des structures d’un remarquable degré d’organisation, de complexité et de symétrie par rapport à l’état vaporeux initial.

L’Univers se comporte de la même manière. Ainsi, dans le premier trillionième de trillionième de seconde suivant sa création, il fait chaud, très, très chaud. Une seule super force et un seul type de particule, les photons, existent. En moins d’un millionième de seconde, l’expansion abaisse rapidement la température et les quatre forces qui nous semblent familières apparaissent, de même que les électrons et les quarks qui, en se regroupant trois par trois, forment des protons et des neutrons.

Pendant les trois minutes qui suivent, la température diminue suffisamment pour que les neutrons et les protons s’assemblent en noyaux d’hélium, de deutérium et de lithium dans une phase de nucléosynthèse globale et primordiale. L’expansion se poursuit et la température baisse toujours, inexorablement. Moins de 400 000 ans plus tard, lorsque la température atteint environ 3 000 degrés Celsius, les électrons se lient aux noyaux atomiques et la matière devient électriquement neutre. À partir de ce moment, les grandes structures cosmiques peuvent désormais entamer leur formation.

Quelques centaines de millions d’années sont nécessaires avant que les premières étoiles apparaissent et s’assemblent en galaxies. Huit milliards d’années de plus afin que la cuisson nucléaire au cœur des étoiles, c’est-à-dire la nucléosynthèse stellaire, façonne suffisamment d’oxygène, de carbone, d’azote, de silicium, de nickel et de fer pour permettre la formation des planètes rocheuses. Et, finalement, cinq milliards d’années additionnelles avant que, quelque part, sur une petite planète bleue, des cerveaux puissent imaginer et comprendre la formidable aventure de l’Univers à l’aide du Big Bang.

Nos ancêtres avaient une connexion spirituelle avec le cosmos. Les dieux, les déesses, les monstres et les héros de leurs mythologies, projetés dans le ciel, donnaient alors un sens profond à leur existence. Or, depuis le premier instrument astronomique, probablement un bâton planté dans le sol dont l’ombre permettait de mesurer l’écoulement du temps, jusqu’à l’élaboration des grands télescopes modernes pour sonder et quantifier le cosmos, ce lien s’est graduellement étiolé. Nous avons maintenant l’impression d’être insignifiants et d’errer dans un univers froid, hostile. Pourtant, c’est tout le contraire. Nous sommes le résultat d’une longue évolution amorcée il y a près de 14 milliards d’années. Du chaos initial, quelques îlots de complexité ont émergé et, sur l’un d’entre eux, la complexité a mené à la conscience. À travers nous, les enfants du Big Bang, l’Univers est devenu conscient de sa propre existence. Par un remarquable renversement de l’histoire, désormais, nous donnons un sens au cosmos !  

Encadré – Le saviez-vous ?

Ce dont nous sommes faits existe depuis très longtemps. En considérant la moyenne des atomes d’hydrogène, de carbone, d’azote, d’oxygène, de phosphore et de fer dans le corps de chacun d’entre nous, on obtient un âge vénérable d’environ 8 milliards d’années. À l’exception de l’hydrogène, tous ces atomes ont été forgés dans le cœur d’anciennes étoiles qui ont terminé leur vie, souvent en explosant, longtemps avant la formation du Soleil et de ses planètes, survenue il y a 4,6 milliards d’années. En y regardant de plus près, les électrons et les quarks, qui forment les protons et les neutrons des noyaux atomiques, sont encore plus vieux ; ils ont été créés avant la fin du premier millionième de seconde suivant le Big Bang. Ils existent donc depuis 13,8 milliards d’années. L’assemblage d’environ cent milliards de milliards de milliards (1 suivi de 29 zéros) de ces particules élémentaires s’avère nécessaire pour créer chaque être humain. Nous sommes donc très vieux et très recyclés !

 

 

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