SANTÉ — Les chiens et nous : l'alliance naturelle de deux espèces sociales

Caroline Kilsdonk — Programme de maîtrise en bioéthique

SANTÉ — Les chiens et nous : l’alliance naturelle de deux espèces sociales

Les gens qui partagent leur quotidien avec des chiens affirment souvent ressentir un lien affectif fort envers leurs compagnons canins, le comparant parfois à la relation d’un parent avec son enfant. Quelle est la nature de cet attachement ? Est-il réciproque ? Les amoureux des chiens leur attribuent une grande sensibilité aux émotions humaines. Qu’en est-il vraiment ? Les neurosciences affectives et sociales se penchent de plus en plus sur le sujet, révélant l’étendue de la compréhension que présentent ces animaux du langage verbal et non verbal humain, et sur la complexité des relations entre les maîtres et leur fidèle ami.

 

Dans sa chambre d’un centre de soins, une dame âgée reçoit un traitement de zoothérapie. Elle caresse un chien sous les oreilles. Tous deux se regardent dans les yeux. Son visiteur semble en redemander. La dame sourit. À l’extérieur, non loin de là, un garçon s’offre une pause dans son jeu de balle avec son chien. Il tend la main à son compagnon, paume vers le haut. La bête le regarde avec intensité, hésite, puis dépose sa patte dans la main tendue. Que se passe-t-il dans les cerveaux et les corps de ces êtres lors de ces interactions ? Nous ne nous arrêtons pas souvent pour y réfléchir et les observer, mais nos interactions sociales sont composées d’un ensemble de gestes et de vocalisations parfois bien subtils. Nos signaux de communication provoquent des effets physiologiques chez nos interlocuteurs, et vice-versa. Les relations avec des animaux de compagnie ne font pas exception.

 
Du loup au chien : une communication de plus en plus fine

La cohabitation entre humains et chiens dure depuis plus de 15 000 ans. Certains chercheurs croient que cette proximité a même influencé l’évolution de l’humanité, et tous s’entendent pour dire qu’elle a certainement façonné celle de l’espèce canine2. Le loup actuel et le chien partageraient un ancêtre commun maintenant disparu, ce qui expliquerait leurs nombreuses ressemblances, mais le chien aurait, par sélection naturelle puis artificielle, développé une compétence sociale plus favorable à la vie avec les humains3. Le concept de hiérarchie et de dominance a longtemps servi à expliquer toute la dynamique interne des meutes de loups. Ce n’est pas si simple : la vie de groupe demande un certain degré de comportements pro-sociaux permettant la communication et la collaboration entre les membres. Ces aptitudes déjà présentes chez l’ancêtre commun ont été mises à profit au cours de la domestication et transmises de génération en génération, faisant du chien un compagnon fort apprécié4.

Même s’il s’agit d’animaux domestiques, les chiots doivent être socialisés à l’humain pendant leurs premiers mois de vie. Très tôt, ils apprennent à différencier les expressions faciales et peuvent même reconnaître leur maître sur une image5. De plus, sans apprentissage antérieur, c’est-à-dire de façon innée, ils comprennent le sens du geste de pointer du doigt. Avec un peu d’entraînement, ils parviennent à acquérir une compréhension plus ou moins étendue d’un vocabulaire. De nombreux mammifères éprouvent une capacité démontrée à ressentir les mêmes émotions qu’un congénère (contagion émotive et empathie émotionnelle)6. On a démontré que les chiens manifestent cette même empathie envers les humains et confirmé ce que beaucoup croyaient : les chiens adoptent certains comportements dans le but de consoler des humains en pleurs. Des chercheurs ont même pu vérifier l’intention des chiens. Ces derniers, en présence de leur maître et d’un étranger en pleurs, choisissaient d’entrer en contact avec l’inconnu éploré plutôt que de rechercher la sécurité du maître, démontrant leur volonté de soulager la détresse de la personne. Si les chiens avaient voulu se rassurer eux-mêmes, ils seraient allés vers leurs maîtres7.

Une biologie de l’attachement

Une caresse, un regard, des paroles… toute interaction positive déclenchera des effets physiologiques chez les individus qui la partagent. Selon l’état des connaissances actuelles, les mêmes mécanismes neuroendocriniens s’enclenchent en cas de relations interpersonnelles (entre humains) ou interspécifiques (entre humains et chiens). Plusieurs hormones et réactions sont impliquées dans le processus et ont en commun d’amener un état de bien-être. L’ocytocine demeure la principale hormone étudiée. Elle est produite en grande quantité chez les mammifères femelles à la naissance de leurs petits ou en période d’allaitement. Souvent appelée « hormone de l’amour et de l’attachement », elle favorise le maintien de liens affectueux, notamment entre amoureux. Plusieurs de ses effets sont opposés à ceux du cortisol, l’hormone du stress. Humains et chiens relâchent de l’ocytocine lors de leurs échanges. Les premiers en produisent davantage lors d’un échange visuel si c’est le chien qui a initié le contact8. Quant aux chiens, ils en sécrètent plus en présence d’une personne de leur entourage qu’avec un inconnu.

Dans les recherches en psychologie sociale et en neurosciences, l’ocytocine sert souvent d’indicateur d’émotions sociales positives9. D’autres composés aux effets similaires, comme la prolactine et la vasopressine, se mêleraient aussi aux interactions, et ce, tant chez les hommes que chez les femmes. Une activation du nerf vague, du système nerveux parasympathique, contribuerait aussi à l’agrément des échanges sociaux par les effets apaisants du ralentissement du rythme cardiaque et de la diminution de la tension artérielle. Une simple interaction agréable produit donc ces effets, mais ils seront plus marqués si elle a lieu au sein d’une relation harmonieuse ou, encore mieux, si des liens d’attachement unissent les partenaires. Le modèle par excellence de l’attachement est celui du jeune enfant pour sa mère, décrit par le psychologue Bowlby en 196910. Depuis, l’attachement a vu sa définition s’élargir de manière à inclure d’autres rapports affectueux. Il a récemment été démontré que l’affection du chien pour son maître répond à tous les critères de l’attachement11. Une étude par imagerie cérébrale a par ailleurs montré des zones d’activation très semblables lorsqu’une femme pense à son enfant ou… à son chien12 !

 

Une influence mutuelle

Il arrive que la relation entre humain et chien ne s’avère pas satisfaisante et qu’un attachement mutuel ne s’instaure pas. La qualité relationnelle et la personnalité du maître jouent un rôle sur le bien-être de son compagnon ou nuisent à celui-ci, par exemple en favorisant le développement d’une anxiété de séparation. Un chien dont le maître évite les contacts positifs, ludiques ou affectueux court plus de risques de développer de l’anxiété en l’absence de ce dernier13. Les méthodes d’éducation plus punitives influencent aussi négativement la relation et accroissent le risque de troubles du comportement14. Dans toute relation, chacun des individus influence le comportement de l’autre. Les chiens mâles et femelles réagissent différemment selon qu’ils sont en face d’un homme ou d’une femme15. Il semble qu’hommes et femmes manifestent autant leur affection par des caresses, mais que les femmes interagissent plus verbalement avec leurs chiens16. Ces bêtes apprennent vite à évaluer à qui elles ont affaire : si une personne les trompe plusieurs fois, elles arrêtent de s’y intéresser, car elle n’est pas fiable et ne mérite donc pas leur attention17 ! En des circonstances stressantes, les chiens préfèrent la présence de leur maître, sinon d’une personne familière et ils s’en remettent à l’humain pour évaluer une nouvelle situation, se tournant vers lui pour voir sa réaction18. Ils sont par ailleurs capables d’apprentissage par imitation19. Enfin, les chiens peuvent aussi s’attacher à certains de leurs congénères20.

 

C’est l’amour !

Dans les sociétés où les familles sont petites et les communautés tissées moins serrées, l’association entre les deux espèces se poursuivra certainement encore longtemps et les chercheurs pourront approfondir leur compréhension de ses mécanismes. La neuro-science se dirige vers l’étude des protagonistes d’une interaction sociale grâce au perfectionnement de l’imagerie, qui permet maintenant l’observation simultanée des effets des actions d’une personne sur le cerveau de l’autre21. L’étape suivante pourrait bien être d’étudier les interactions entre une personne et son animal de compagnie. La richesse et la complexité du lien unissant chiens et êtres humains ne cesseront pas de sitôt d’intriguer les scientifiques. Ce lien en révèle toujours plus sur la nature sociale et les besoins affectifs de chacun. Selon l’état des connaissances actuelles, il est possible d’affirmer que les mécanismes et les bénéfices de nos relations avec d’autres personnes ou avec des animaux sont très similaires22. Nous savons maintenant que l’attachement est réciproque. Si on osait, on parlerait d’amour… ◉

 

LE RÔLE DÉVOLU AUX CHIENS S’EST MODIFIÉ AVEC LE TEMPS. APRÈS AVOIR LONGTEMPS EU DES FONCTIONS UTILITAIRES, ILS SONT DEVENUS DES COMPAGNONS. AU QUÉBEC, UNE MAISONNÉE SUR QUATRE COMPTERAIT ACTUELLEMENT AU MOINS UN CHIEN (1) SOUVENT CONSIDÉRÉ COMME UN MEMBRE DE LA FAMILLE.

 

RÉFÉRENCES

 

1 Association des médecins vétérinaires du Québec en pratique des petits animaux. (2014). Repéré à http://www. sterilisationanimalequebec.info/media/ statistiques/il-y-maintenant-plus-de-2-5- millions-de-chats-et-de-chiens-au-quebec/

2 Miklosi, A. et Topal, J. (2013). What does it take to become “best friends”? Evolutionary changes in canine social competence. Trends in Cognitive Science, 17(6), 287-294.

3 Nagasawa, M., Mitsu, S., En, S., Ohtani, N., Ohta, M., Sakuma, Y., … Kikusui, T. (2015). Oxytocin-gaze positive loop and the coevolution of human-dog bonds. Science, 348(6232), 333-336.

4 Miklosi et Topal, op. cit. Persson, M. E., Roth, L. S. V., Johnsson, M., Wright, D. et Jensen, P. (2015).

Human-directed social behaviour in dogs shows significant heritability. Genes, Brain and Behavior, 14, 337-344.

5 Muller, C., Schmitt, K., Barber, A. L. A. et Huber, L. (2015). Dogs can discriminate emotional expressions of human faces. Current Biology, 25(5), 601-605.

Huber, L., Racca, A., Scaf, B., Viranyi, Z. et Range, F. (2013). Discrimination of familiar human faces in dogs (Canis familiaris). Learning and Motivation, 44(4), 258-269.

6 Panksepp, J. et Panksepp, J. (2013). Toward a cross-species understanding of empathy. Trends in Neurosciences, 36(8), 489-496.

7 Custance, D. et Mayer, J. (2012). Empathic-like responding by domestic dogs (Canis familiaris) to distress in humans: An exploratory study. Animal Cognition, 15(5), 851-859. doi : 10.1007/s10071- 012-0510-1

8 Nagasawa, M., Kikusui, T., Onaka, T. et Ohta, M. (2009). Dog’s gaze at its owner increases owner’s urinary oxytocin during social interaction. Hormones and Behavior, 55(3), 434-441.

9 Mitsui, S., Yamamoto, M., Nagasawa, M., Mogi, K., Kikusui, T., Ohtani, N. et Ohta, M. (2011). Urinary oxytocin as a noninvasive biomarker of positive emotion in dogs. Hormones and Behavior, 60(3), 239-243.

10 Bowlby, J. (2002). Attachement et perte (vol. 1 : L’attachement). Paris, France : Presses universitaires de France.

11 Mariti, C., Ricci, E. et Gazzano, A. (2010, juin). Do owners represent a secure base for their dogs? Communication présentée au 19e congrès annuel de l’International Society for Anthrozoology, Stockholm, Suède.

12 Stoeckel, L. E., Palley, L. S., Gollub, R. L., Niemi, S. M. et Evins, A. E. (2014). Patterns of brain activation when mothers view their own child and dog: An fMRI study. PLoS ONE, 9(10), e107205. doi :10.1371/journal.pone.0107205

13 Konok, V., Kosztoloanyi, A., Rainer, W., Mutschler, B., Halsband, U. et Miklosi, A. (2015). Influence of owners’ attachment style and personality on their dogs’ (Canis familiaris) separation-related disorder. PLoS ONE, 10(2), e0118375. doi : 10.1371/ journal.pone.0118375

14 Herron, M., Schofer, F. S. et Reisner, I. R. (2009). Survey of the use and outcome of confrontational and non-confrontational training methods in client-owned dogs showing undesired behaviors. Applied Animal Behaviour Science, 117, 47-54.

15 Wells, D. et Hepper, P. (1999). Male and female dogs respond differently to men and women. Applied Animal Behaviour Science, 61(4), 341-349.

16 Prato-Previde, E., Fallani, G. et Valsecchi, P. (2006). Gender differences in owners interacting with pet dogs: An observational study. Ethology, 112(1), 64-73.

17 Takaoka, A., Maeda, T., Hori, Y. et Fujita, K. (2014). Do dogs follow behavioral cues from an unreliable human? Animal Cognition, 18, 475-483.

18 Kerepesi, A., Dokaa, A. et Miklósi, A. (2015). Dogs and their human companions: The effect of familiarity on dog–human interactions. Behavioural Processes, 110, 27-36. Yong, M. H. et Ruffman, T. (2015).

Is that fear? Domestic dogs’ use of social referencing signals from an unfamiliar person. Behavioural Processes, 110, 74-81.

19 Fugaza, C. et Miklosi, A. (2013). Deferred imitation and declarative memory in domestic dogs. Animal Cognition, 17(2), 237-247.

20 Mariti, C., Carlone, B., Ricci, E., Votta, E., Sighieri, C. et Gazzano, A. (2013). Analysis of intraspecific attachment in dogs (Canis familiaris): Preliminary results. Journal of Veterinary Behavior: Clinical Applications and Research, 8(4), 32-33.

21 Pfeiffer, U., Timmermans, B., Vogeley, K., Frith, C. D. et Schilbach, L. (2013). Towards a neuroscience of social interaction. Frontiers in Human Neuroscience, 7(22). 
doi : 10.3389/ fnhum.2013.00022

22 Amiot, C. et Brock, B. (2015). Toward a psychology of human–animal relations. Psychological Bulletin, 141(1), 6-47.

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