CHRONIQUE — Le stress des chercheurs scientifiques

Sonia Lupien — Chercheure en neurosciences

CHRONIQUE — Le stress des chercheurs scientifiques

Écrire des demandes de subvention à répétition en raison du faible taux de succès, produire des articles dans les grandes revues scientifiques, donner des cours et superviser des étudiants des cycles supérieurs, présenter des conférences dans les grands congrès internationaux. Travail stressant que celui du chercheur scientifique ? Cela dépend peut-être de l’expérience acquise et du point de vue adopté !

Quand Alexandre Guertin-Pasquier, directeur général du FICSUM, et Marie-Paule Primeau, rédactrice en chef de la revue Dire, m’ont demandé d’écrire quelques chroniques dans l’année à venir, j’ai hésité. En effet, à titre de chercheure scientifique, j’en ai déjà beaucoup sur ma liste de « choses à faire », et je n’étais pas certaine d’avoir le temps ni l’inspiration pour écrire des chroniques intéressantes. Toutefois, j’ai eu la bonne idée de demander à Marie-Paule de me parler de la revue (que je ne connaissais pas, vous m’en voyez désolée !), et lorsqu’elle m’a envoyé quelques exemplaires de numéros antérieurs, je me suis dit : « Aaaaahhhh !! Une revue écrite par des étudiants universitaires ! Quelle belle occasion de leur jaser des études supérieures, du stress qui y est associé (ou pas…) et de toutes sortes de choses intéressantes sur le monde universitaire et scientifique ! »

Alors j’ai dit oui à Alexandre et Marie-Paule, et me voici donc, les deux mains bien installées sur mon clavier, prête à discuter.

Mon premier sujet ? La récente vague d’articles parus dans de grands journaux scientifiques tels Nature [1]et Scienceet consacrés au stress intenable vécu par les chercheurs en début de carrière. En septembre 2016, la revue Naturea utilisé Facebook pour demander aux personnes commençant une carrière de chercheur de décrire leur réalité quotidienne. La revue a reçu plus de 300 réponses, toutes négatives.

Les jeunes chercheurs rapportaient ainsi vivre un stress intense devant les défis générés par le monde universitaire : demandes de subvention, articles scientifiques à écrire, cours à planifier et à donner, étudiants à superviser, charges administratives à assumer, différents congrès auxquels ils doivent participer. Ils indiquaient que tout ce stress les empêchait de penser adéquatement à leur projet de recherche et qu’ainsi, la course aux publications et aux subventions tuait leur potentiel d’innovation.

Bref, ils sont au bout du rouleau.

Quand je lis ces articles, je comprends aisément la détresse de ces jeunes chercheurs, car j’étudie les effets du stress sur le cerveau humain depuis maintenant deux décennies. Je conçois très bien que le stress généré par la nouveauté et l’imprévisibilité de toutes ces tâches nouvelles en début de carrière puisse être pesant.

Toutefois, chaque fois que je lis ce genre d’articles, je ne peux m’empêcher d’avoir une petite réaction de colère envers les directeurs de ces journaux : en ne présentant que des aspects négatifs du travail de chercheur, ils empêchent peut-être de jeunes personnes remplies de potentiel scientifique de se lancer dans une carrière universitaire, par peur de vivre ces immenses défis.

Je le sais pour l’avoir vécu. Combien de jeunes étudiants et étudiantes au doctorat m’ont dit la chose suivante : « Sonia, je ne crois pas que je veux devenir chercheur scientifique. En effet, les chercheurs que je connais disent que c’est l’un des emplois les plus stressants qui soit, car on doit toujours écrire de deux à trois demandes de subvention, des articles scientifiques, enseigner et faire des conférences. Tous les chercheurs à qui je parle me disent que c’est de plus en plus difficile d’avoir des subventions ou d’avoir un article accepté pour publication. Je ne serai jamais capable de suivre ce rythme effréné. »

Si beaucoup de mes collègues persistent à dire que le travail de chercheur est l’un des plus stressants au monde, je réponds de mon côté toujours la même chose : le travail de chercheur est merveilleux. En fait, des études récentes [2]montrent que l’épuisement professionnel survient en général durant les deux premières années d’emploi après la sortie des bancs universitaires. Alors oui, bien sûr que de commencer une carrière scientifique est difficile, mais ce l’est au même titre que d’occuper n’importe quel nouvel emploi quand on sort de l’université.

Alors voilà, je persiste et signe : le travail de chercheur scientifique est l’un des plus beaux au monde. Oui, j’écris de deux à trois demandes de subvention par année, mais c’est parce que je le veux bien. Pour moi, écrire une demande de subvention, c’est m’accorder du « temps-cerveau », c’est-à-dire un moment pour me mettre à jour sur la littérature scientifique et penser à de nouveaux projets de recherche. Merveilleux moments ! Oui, je dois donner des cours et superviser des étudiants de cycles supérieurs, et j’adore cela ! J’adore voir le visage des étudiants au baccalauréat quand ils comprennent enfin un concept difficile et leur sourire quand ils ont bien réussi un examen. J’adore voir un étudiant recevoir son doctorat et constater la fierté dans le visage de ses parents et amis. Merveilleux moments ! J’adore écrire des articles scientifiques et j’aime même recevoir les critiques de mes réviseurs ! J’apprends depuis longtemps à mes étudiants que d’accepter la critique des pairs avec humilité améliore toujours leur article scientifique et augmente leur index de citation. J’adore enfin faire le tour du monde pour donner des conférences scientifiques. Je retrouve mes amis et collègues à différents endroits dans le monde et on refait la science lors de chaque congrès. Merveilleux moments…

Alors certes, les 300 jeunes chercheurs ayant répondu au sondage de Natureont affirmé que leur travail était trop stressant. On devrait être à l’écoute de ces jeunes chercheurs et leur offrir le mentorat nécessaire pour leur assurer un atterrissage réussi dans le monde du travail. Cependant, le monde compte des milliers de jeunes chercheurs, et j’ose encore espérer que parmi eux, ceux qui n’ont pas répondu au sondage de Natures’épanouissent dans le milieu universitaire. Si vous en êtes, manifestez-vous ! J’aimerais bien vous lire aussi.

Références

[1] Powell, K. (2016). Young, talented and fed-up. Nature, 538,446-449.

[2] Robins, T. G., Roberts, R. M. et Sarris, A. (2017). The role of student burnout in predicting future burnout: Exploring the transition from university to the workplace. Higher Education Research and Development, 1-16. https://doi.org/10.1080/07294360.2017.1344827

Présentation de Sonia Lupien 

Sonia Lupien est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le stress humain et directrice du Centre d’études sur le stress humain. Elle est professeure au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal.

 

Sonia Lupien dans les médias

Dans son livre Par amour du stress,paru en 2010, Sonia Lupien décortique les mécanismes du stress et ses effets sur l’être humain. De sa nécessité pour l’humain à ses effets dévastateurs, tout le phénomène est passé au peigne fin. En grande vulgarisatrice, elle y propose aussi des méthodes pour maîtriser la bête et ainsi réduire la production de cortisol par les glandes surrénales.

La professeure est également active sur le Web par l’entremise de son site sonialupien.com et des pages Facebook Sonia Lupien chercheure en neurosciences et Chasseurs de mammouths,qui est la page officielle du Centre d’études sur le stress humain (CESH), duquel elle est la directrice. En mars dernier, elle a participé à la conférence Mind & Life, en Inde, où elle a présenté ses travaux en neurosciences au dalaï-lama et à des chercheurs venus de partout. Cet entretien peut être visionné sur le site mindandlife.org.

En janvier 2017, elle recevait au CESH Rabii Rammal, reporter à l’émission Les électrons libres(electronslibres.telequebec.tv), pour jaser stress. En quelques minutes seulement, les quatre facteurs déterminants du stress humain, regroupés sous l’acronyme CINÉ (Contrôle faible d’une situation/Imprévisibilité/Nouveauté/Ego menacé), sont expliqués avec clarté.

 

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