LAURÉAT - Horizons sur la démocratisation: Violence électorale et participation politique des femmes

Annie Trudel - Rédactrice en chef, revue Dire

LAURÉAT – Horizons sur la démocratisation: Violence électorale et participation politique des femmes

Voici le portrait[i] de Gabrielle Bardall, étudiante au doctorat et lauréate d’une bourse Trudeau[ii]. Cette femme d’action s’implique depuis une dizaine d’années dans la promotion internationale de la démocratie et de l’aide à la mise en place d’élections libres. Elle a notamment travaillé pour le Programme du Développement des Nations Unies, ONU Femmes et plusieurs autres organisations dans plus que 25 pays. Elle nous entretient sur l’importance du processus électoral dans les nouvelles démocraties et sur les défis qui y sont associés, notamment la violence électorale et la participation politique des femmes.

Avec près d’une décennie d’expérience en matière de support aux processus électoraux dans les États en transition, Gabrielle Bardall est une universitaire aguerrie ainsi qu’une experte dans le domaine de l’assistance aux élections. En tant que spécialiste de l’inégalité sexuelle elle travaille régulièrement dans les bureaux régionaux et au sein du bureau-chef à New-York dans le Programme du Développement des Nations Unies. Notre lauréate a récemment contribué à plusieurs publications sur la façon d’augmenter la participation politique des femmes et a donné plusieurs formations axées sur le genre au sein des élections à des administrateurs électoraux venants de plus de 50 pays. Pendant les élections postrévolution en Égypte en 2011 et 2012, elle est devenue la première experte de la question du genre à être déployée au sein d’une mission d’observation du Centre Carter[iii]. Ses recherches sur le genre et la violence électorale en font une pionnière dans ce champ d’études. Spécialisée dans la région de l’Afrique sub-saharienne, elle a passé une grande partie des dernières années au Burundi, en Guinée et en République Démocratique du Congo où elle a travaillé pour l’organisation International Foundation for Electoral Systems (IFES) entre 2005 et 2011.

De la théorie à la pratique : le paradoxe électoral
Gabrielle explique comment ses recherches doctorales rejoignent son expérience pratique : « Les élections sont nécessaires à la démocratie, mais elles ne garantissent pas cette dernière. Nous remarquons que les élections n’amènent pas toujours la paix et la démocratie dans les États en reconstruction ou en transition. D’ailleurs, sous certaines conditions un processus électoral mal-géré consolide les régimes autoritaires et provoque une flambée de violence plutôt que de montrer la voie vers une véritable démocratie. Pour moi, l’incapacité à répondre à ces dynamiques ou encore à y contribuer par inadvertance est la plus grande des menaces qui pèsent sur ceux qui travaillent à fournir l’assistance nécessaire au développement de la démocratie. C’est ce défi que ma thèse propose de relever ».

Ce paradoxe électoral, comme elle le nomme, est souvent la cause de la violence. Il survient lorsqu’un parti politique croit qu’il ne peut obtenir des sièges dans un environnement électoral honnête et équitable. C’est alors que la violence, les boycotts et les protestations sont utilisés pour décrédibiliser le régime en place. Comme on le voit, la violence est un facteur non négligeable de la difficulté à mettre en place des régimes démocratiques sains et durables.

Participation politique des femmes
Selon Gabrielle, « L’assujettissement des femmes et des filles est le plus grand défi des droits humains de notre siècle ». C’est la raison pour laquelle ce champ est devenu un thème central de son travail et de sa recherche. En particulier, sa recherche originale sur le genre et la violence électorale a révélé cette réalité pour la première fois: « Partout à travers le monde, les femmes qui se portent candidates et celles qui votent doivent faire systématiquement face à de la violence physique, psychologique ou sexuelle, ou encore à être réduites au silence ou se voir être contraintes dans leurs actions et croyances politiques ». Effectivement, la violence électorale n’est pas toujours celle que l’on voit à l’extérieur, dans la rue ou sur les places publiques; elle est parfois beaucoup plus sournoise comme l’explique Gabrielle : « Elle survient dans les ménages où la violence conjugale, le viol, l’intimidation et le contrôle serré du budget sont des tactiques utilisées pour empêcher les femmes de prendre des décisions ou faire des actions politiques telles que se présenter comme candidate ou encore pour les obliger à voter pour leur mari ou pour le parti choisi par la tribu ».

Gabrielle a été la toute première à aborder ce sujet dans une recherche systématique et scientifique. Depuis, son travail a été utilisé par de nombreuses organisations, y compris les agences des Nations Unies, des groupes internationaux des droits humains et des commissions électorales de plusieurs pays pour protéger et promouvoir la participation politique des femmes. Mais ce n’est qu’un début, Gabrielle est activement engagée dans l’application de ses recherches : « Écrire à ce sujet n’est pas assez pour réaliser un vrai changement dans la situation des femmes. À partir de mes recherches, j’ai créé du matériel pédagogique qui a été intégré dans un programme de formation électorale internationale qui est maintenant utilisé dans des dizaines de pays chaque année. Je continue de donner des formations aux commissions électorales et aux femmes-leaders dans les différents pays. Cela me permet non seulement de partager ma recherche mais d’apprendre de façon continuelle à partir de la réalité sur le terrain. »

Perspectives futures
Depuis qu’elle a commencé son doctorat à l’Université de Montréal en 2010, Gabrielle équilibre sa vie professionnelle entre sa thèse qu’elle fait à temps plein et un travail de consultante : « Du coté professionnel, j’ai passé la majorité de l’année passée au siège de l’ONU à New-York où j’ai écrit plusieurs publications et du matériel de formation sur le genre et les élections pour le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD)[iv] dans le Programme mondial pour l’appui au cycle électoral (GPECS)[v]. Ensuite, on a formé les chefs des commissions électoralse d’une cinquantaine de pays avec le matériel. Plus tôt l’année passée, j’ai été au Caire où j’ai été la première experte en matière de genre à être intégrée au sein de l’équipe principale d’une mission d’observation électorale du Centre Carter. La situation critique de la participation politique des femmes a été mise au premier plan des recommandations de notre mission. Je suis actuellement en train de préparer un rapport sur la participation politique des femmes qui sera présenté devant l’Assemblée Générale de l’ONU lors de sa 68ième session. Je continue également de donner des formations dans différents pays, dont plus récemment en Haïti et au Nigeria. »

« Du côté de la recherche, ce printemps, j’ai présenté ma recherche devant des parlementaires d’une centaine de pays lors de la Commission sur la Statut de la Femme à l’ONU. À l’automne, dans le cadre du programme international sur la gouvernance, j’irai enseigner dans un séminaire de formation à l’Institut universitaire européen[vi] à Florence en Italie. Grâce à la bourse de la Fondation Trudeau j’ai l’opportunité de m’entretenir avec une communauté exceptionnelle d’universitaires et de professionnels venant de partout au Canada. L’appui de la communauté de l’UdeM, surtout de mes directeurs, est aussi exceptionnel. » 

Les actions menées par les chercheurs comme Gabrielle vont petit à petit conscientiser les gens venant de ces démocraties en devenir, mais également les gens venant de pays étant depuis longtemps démocratiques et qui souhaitent s’impliquer dans les processus électoraux. En effet, il ne faut pas toujours regarder l’autre avec nos lunettes occidentales et il faut parfois faire un effort pour sortir des sentiers battus et s’affranchir d’un certain carcan de pensée. La réalité sur le terrain est souvent bien différente et on ne peut appliquer des mécanismes comme une froide formule mathématique sans d’abord avoir étudié la culture sous-jacente. Comme notre lauréate le dit si bien elle-même : « Faire l’analyse critique de nos résultats d’un point de vue plus large permet de retirer les conventions obsolètes pouvant être un risque pour la promotion de la démocratie dans la réalité d’aujourd’hui et ouvre la porte à l’innovation et aux idées nouvelles ».

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