SOCIÉTÉ — Qui se ressemble s’assemble et s’influence

Sandrine Charbonneau — Programme de maîtrise en psychologie

SOCIÉTÉ — Qui se ressemble s’assemble et s’influence

Considérant qu’à l’adolescence, les jeunes passent beaucoup de temps ensemble, des équipes de recherche de partout dans le monde se sont intéressées à l’effet des pairs durant cette période. Leur constat central est que les adolescentes et adolescents sont facilement influencés par leurs camarades en raison de leur besoin de valider leur identité. Des études récentes révèlent que cette influence peut être à la fois positive et négative. À l’ère actuelle où les jeunes sont en contact avec leur entourage en un seul clic, la communauté scientifique continue d’étudier l’effet des pairs sur le développement des personnes adolescentes.

Philippe et Juliette entrent dans la cafétéria de leur école secondaire. Ils doivent décider à quelle table s’asseoir. C’est un choix décisif, parce qu’ils savent que cela va déterminer à quel groupe social ils seront associés. Ils commencent à observer chacune des tables : celle des sportifs et sportives, celle des intellos, celle des populaires, celle des artistes, celle des comiques, et plusieurs autres. Chacun des groupes a ses particularités. À vrai dire, Philippe et Juliette remarquent même que les membres de chacun de ces groupes se ressemblent. Ils ont la même démarche, les mêmes centres d’intérêt, le même style vestimentaire et les mêmes mimiques. Ils semblent être des copies les uns des autres. Philippe et Juliette se demandent pourquoi.

Le principe d’homophilie

Les chercheurs et chercheuses en psychologie diront que ce n’est pas du tout une coïncidence : à l’adolescence, les groupes d’amis partagent bel et bien les mêmes caractéristiques. Cela s’explique par le principe d’homophilie, qui fait référence à la tendance naturelle d’une personne à s’affilier avec des gens qui lui ressemblent[1]. Ce principe s’applique non seulement au moment de l’adolescence, mais aussi à tous les âges. Il est également à la base de plusieurs types de relations, qu’elles soient amicales, amoureuses ou professionnelles. Ainsi, dans la cafétéria, Philippe et Juliette seront portés à rejoindre des personnes qui présentent des similarités avec eux, par exemple le même sexe, le même âge ou la même ethnicité. Des caractéristiques psychologiques telles que les attitudes, les résultats scolaires ou les aspirations semblent aussi influencer l’affiliation[2]. De plus, une étude de 2017 a révélé qu’à l’intérieur d’une classe, les élèves ont tendance à se lier d’amitié avec les pairs qui réussissent à l’école de la même façon qu’eux[3]. Le proverbe populaire « Qui se ressemble s’assemble » résume bien le phénomène. Cependant, un ajout à ce proverbe serait nécessaire afin qu’il soit parfaitement adapté à la réalité des ados : « Qui se ressemble s’assemble… et avec le temps se ressemble davantage ! » En effet, les recherches récentes révèlent que plus un adolescent ou une adolescente passe du temps avec ses camarades, plus il ou elle développera les mêmes caractéristiques que ceux-ci[4]. En d’autres mots, les membres des groupes de jeunes deviennent similaires avec le temps. Ce phénomène, nommé processus de socialisation *, explique pourquoi adopter les mêmes expressions que celles des membres de la famille ou des amis et amies est fréquent et tout à fait normal.

En quête d’identité

Lors de l’adolescence, période qui va de l’âge de 10 à 19 ans, les jeunes cherchent à découvrir leur identité et ce qui les distingue des autres[5]. « Qui suis-je? » est une question qui passe en boucle dans les pensées des ados. Pour y répondre, ceux-ci vont se fier non pas à leurs parents (desquels ils cherchent à s’émanciper), mais plutôt à leurs pairs[6]. Les pairs sont des individus de même âge possédant des caractéristiques et des habiletés semblables. Les adolescentes et adolescents sont susceptibles d’être influencés par leurs pairs puisqu’ils cherchent leur approbation pour se sentir acceptés et validés. Ainsi, un jeune sera porté à imiter les comportements de ses camarades pour se conformer aux normes sociales de son groupe d’appartenance[7]. Ces normes définissent l’ensemble des règles de conduite à suivre selon le groupe (par exemple, exceller dans un sport pour le groupe sportif, participer aux activités sociales pour le groupe des populaires, avoir de bonnes notes pour le groupe des intellos, etc.). Les normes mettent en valeur des comportements basés sur un ensemble de croyances et de valeurs spécifiques.

Lorsque l’adolescente ou l’adolescent imite le comportement de ses camarades, il reçoit du renforcement *[8]. Ce dernier peut être verbal, comme « Bravo! C’est bon! », ou encore être exprimé par des actions comme des rires, une tape dans le dos ou un regard. Le renforcement peut aussi être donné de manière virtuelle sous la forme d’un « J’aime », une mention qui représente l’approbation sur les réseaux sociaux. En 2014, la chercheuse Jorien Van Hoorn, de l’Université de Leiden aux Pays-Bas, a fait une étude expérimentale dans laquelle elle a exposé des jeunes de 12 à 16 ans à un dilemme social sur une plateforme en ligne[9]. La personne participant à l’étude devait séparer un montant d’argent entre elle et quatre élèves de son école, sous le regard de dix pairs d’une école différente. Les pairs pouvaient envoyer des « J’aime », et par le fait même encourager le participant à garder l’argent pour lui ou à le partager avec les autres. Les résultats de Van Hoorn ont révélé que les jeunes ont tendance à adopter les comportements qui reçoivent le plus de renforcement, et ce, peu importe la nature du comportement. Ainsi, une métaphore pertinente pour comprendre l’effet des pairs à l’adolescence est celle du mouton, puisque les ados souhaitent à tout prix suivre le troupeau pour éviter d’être le mouton noir.

Suivre le troupeau

Cette métaphore mène à une réflexion sur les effets de faire partie d’un groupe de pairs délinquants. En effet, plusieurs études réalisées au début des années 2000 ont porté sur cette population puisque les jeunes délinquants présentaient des risques de décrochage scolaire élevés[10]. Les résultats ont révélé qu’à l’intérieur des groupes valorisant la désobéissance, l’agressivité et la prise de substances (drogues, cigarettes, alcool), les ados avaient tendance à adopter les comportements du groupe de référence (mentir, frapper ou voler)[11]. Ils semblaient aussi consommer davantage de substances illicites et présenter des risques plus élevés de délinquance. À l’inverse, que se passe-t-il si un jeune est entouré de pairs qui favorisent l’adoption d’habitudes bénéfiques? Les recherches ont montré qu’en milieu scolaire, lorsque des jeunes s’affilient avec des personnes qui s’investissent dans leurs études, leur motivation à avoir de meilleurs résultats scolaires devient plus grande par la suite[12]. Les pairs peuvent aussi avoir une influence sur l’adoption de comportements prosociaux, qui visent à aider les autres (par exemple, le partage, l’entraide, des actes altruistes)[13]. Lorsqu’un jeune perçoit ses amis et amies comme des gens altruistes, il sera davantage porté à afficher plus de comportements sociaux lui-même afin de se sentir accepté et valorisé dans son groupe. En 2015, Sophie Choukas-Bradley, de l’Université de Caroline du Nord à Chapell Hill aux États-Unis, a effectué une étude dans laquelle elle demandait à des adolescentes et adolescents de réagir à divers scénarios après avoir discuté avec les pairs populaires de leur école[14]. Les résultats ont révélé que les jeunes affichaient plus de comportements prosociaux (aider, coopérer, partager, etc.) lorsque les pairs populaires valorisaient ce type de comportements. À l’inverse, lorsque les pairs populaires encourageaient des comportements antisociaux (mentir, frapper, voler, etc.), les jeunes avaient tendance à répondre aux scénarios de manière antisociale. Bref, les ados semblent « suivre le troupeau », peu importe si ce dernier valorise des comportements adéquats ou inadéquats.

Au-delà des comportements

Non seulement les pairs peuvent influencer les comportements, mais ils semblent aussi avoir un effet sur la santé mentale, notamment en ce qui a trait à l’anxiété. Une étude faite en 2011 par Nejra Van Zalk, de l’Université de Örebro en Suède, s’est intéressée à l’effet des pairs sur l’anxiété sociale, un type d’anxiété caractérisé par une grande nervosité et un profond inconfort lors de situations sociales[15]. Les résultats sont assez frappants : les jeunes qui ont des symptômes d’anxiété sociale ont tendance à s’affilier et, avec le temps, les niveaux individuels d’anxiété sociale de ces jeunes deviennent plus élevés. D’autres études, quant à elles, ont démontré l’influence positive des pairs sur la santé mentale pendant l’adolescence. En 2019, Michael Mason, de l’Université du Tennessee aux États-Unis, a montré que faire partie d’un groupe social valorisant les comportements prosociaux permettait de réduire la consommation de substances (tabac et marijuana) chez des jeunes avec un historique de dépression[16].

Les études scientifiques réalisées depuis les 25 dernières années montrent clairement que les pairs sont de puissants acteurs d’influence à l’adolescence, et que leur influence peut être aussi positive que négative. Philippe et Juliette ont donc bien fait d’analyser chacune des tables de la cafétéria avant d’en choisir une, puisque la décision de l’endroit où s’asseoir sur l’heure du dîner est loin d’être banale. Au contraire, ce choix donne des indications sur la manière dont l’adolescent ou l’adolescente se perçoit et sur le type de comportements qu’il ou elle pourrait d’adopter. Les réseaux sociaux étant désormais une partie intégrante de la vie des jeunes, l’influence des pairs dans ce contexte numérique peut devenir omniprésente. Ce domaine de recherche devient ainsi particulièrement pertinent, notamment afin d’évaluer les effets d’un lien constant avec l’entourage par l’entremise de ces plateformes.

 

Lexique

Processus de socialisation : tendance graduelle qui explique qu’une personne adopte des attitudes et des comportements similaires à ceux de son entourage.

* Renforcement : action qui augmente la probabilité qu’un comportement survienne.

 

Références

[1] Kandel, D. B. (1978). Homophily, selection, and socialization in adolescent friendships. American Journal of Sociology, 84(2), 427‑436.

[2] McPherson, M., Smith-Lovin, L. et Cook, J. M. (2001). Birds of a feather : Homophily in social networks. Annual Review of Sociology, 27(1), 415‑444.

[3] Rambaran, J. A., Hopmeyer, A., Schwartz, D., Steglich, C., Badaly, D et Veenstra, R. (2017). Academic functioning and peer influences: A short-term longitudinal study of network – Behavior dynamics in middle adolescence. Child Development, 88(2), 523-543. https://doi.org/10.1111/cdev.12611

[4] Gifford-Smith, M. E. et Brownell, C. A. (2003). Childhood peer relationships: Social acceptance, friendships, and peer networks. Journal of School Psychology, 41(4), 235‑284.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Brechwald, W. A. et Prinstein, M. J. (2011). Beyond homophily: A decade of advances in understanding peer influence processes. Journal of Research on Adolescence, 21(1), 166-179. https://doi.org/10.1111/j.1532-7795.2010.00721.x

[8] Ibid.

[9] van Hoorn, J., van Dijk, E., Meuwese, R., Rieffe, C. et Crone, E. A. (2016). Peer influence on prosocial behavior in adolescence. Journal of Research on Adolescence, 26(1), 90‑100. https://doi.org/10.1111/jora.12173

[10] Gifford-Smith, M., Dodge, K. A., Dishion, T. J. et McCord, J. (2005). Peer influence in children and adolescents : Crossing the bridge from developmental to intervention science. Journal of Abnormal Child Psychology, 33(3), 255-265. https://doi.org/10.1007/s10802-005-3563-7

[11] Denault, A. S. et Poulin, F. (2012). Peer group deviancy in organized activities and youths’ problem behaviours. Canadian Journal of Behavioural Science / Revue canadienne des sciences du comportement, 44(2), 83-92.

[12] Wang, M. T. (2018). Friends, academic achievement, and school engagement during adolescence: A social network approach to peer influence and selection effects. Learning and Instruction, 58, 148-160.

[13] van Hoorne et al. (2016), op. cit.

[14] Choukas-Bradley, S., Giletta, M., Cohen, G. L. et Prinstein, M. J. (2015). Peer influence, peer status, and prosocial behavior : An experimental investigation of peer socialization of adolescents’ intentions to volunteer. Journal of Youth and Adolescence, 44(12), 2197-2210. https://doi.org/10.1007/s10964-015-0373-2

[15] Van Zalk, N., Van Zalk, M., Kerr, M. et Stattin, H. (2011). Social anxiety as a basis for friendship selection and socialization in adolescents’ social networks. Journal of Personality, 79(3), 499‑526.

[16] Mason, M., Mennis, J., Russell, M., Moore, M., & Brown, A. (2019). Adolescent depression and substance use: The protective role of prosocial peer behavior. Journal of Abnormal Child Psychology, 47(6), 1065‑1074. https://doi.org/10.1007/s10802-018-0501-z

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