BIOLOGIE — Des partenaires microscopiques hébergés dans les cellules : les endosymbiotes

Anne-Frédérique Gendron — Programme de doctorat en sciences biologiques

BIOLOGIE — Des partenaires microscopiques hébergés dans les cellules : les endosymbiotes

En près de quatre milliards d’années, divers processus évolutifs et la tendance de la nature à combiner plusieurs espèces a favorisé la biodiversité et la création de nouvelles espèces telles que l’Homo sapiens. À titre d’exemple, en plus de ses propres cellules, le corps humain héberge environ 100 billions (1014) de microbes et près de 1 000 billions (1015) de virus. Le résultat le plus célèbre de cette association entre l’homme et ces micro-organismes se retrouve au cœur de toutes les cellules animales et végétales : ce sont les mitochondries, des organites considérés comme des centrales énergétiques qui jouent un rôle primordial dans la vie et la mort des cellules. En fait, les mitochondries possèdent leur propre code génétique, puisqu’elles étaient autrefois autonomes et qu’elles découleraient d’une longue association (de plusieurs millions d’années) avec des bactéries. Bien qu’elle sorte de l’ordinaire, cette association n’est toutefois pas unique et pour en savoir plus, il faut entrer dans le monde des endosymbiotes.

C’est en 1879 qu’Anton De Bary énonce pour la première fois le concept de symbiose, qu’il décrit comme une association durable et intime entre deux espèces. Cette définition inclut les relations de mutualisme (association bénéfique pour les deux partenaires), de commensalisme (association bénéfique pour l’un des partenaires et neutre pour l’autre) et de parasitisme (association bénéfique pour un partenaire, mais nuisible à l’autre)[1]. Les associations symbiotiques prévalent chez une variété d’organismes terrestres et aquatiques, et elles sont connues pour avoir favorisé l’évolution et l’adaptation de nombreuses espèces. Toutefois, ce n’est que dans les années 1970, avec la théorie endosymbiotique proposée par la microbiologiste américaine Lynn Margulis, que les scientifiques ont commencé à s’intéresser au rôle des endosymbiotes chez les organismes hôtes[2]. Précisément, le concept d’endosymbiose implique une relation de mutualisme, de commensalisme ou de parasitisme entre un micro-organisme et son hôte. Bien que ces types de relations soient courants dans la nature, de nombreuses recherches ont porté spécifiquement sur les associations entre endosymbiotes et insectes, car celles-ci permettent l’étude de tous les types d’endosymbioses et peuvent être reproduites plus facilement que lors d’une association entre l’humain et un autre organisme, par exemple.

Pourquoi s’intéresser particulièrement aux insectes ? Parce qu’ils colonisent des habitats très diversifiés et interagissent avec une panoplie d’organismes et de micro-organismes. En outre, au cours de l’évolution, plus de la moitié des insectes ont pu établir des relations stables avec des bactéries, des champignons microscopiques ou des virus qui ont favorisé leur adaptation à différents milieux écologiques[3]. Certaines de ces endosymbioses résultent de très anciennes relations avec des bactéries, parfois de plus de 260 millions d’années, alors que d’autres sont plus récentes. Par exemple, la relation entre la bactérie Sodalis glossinidius et la mouche tsé-tsé Glossina spp. remonterait à près de 20 millions d’années et elle se serait maintenue dans le temps parce que la bactérie influence positivement la longévité de son hôte[4].

Des endosymbioses obligatoires ou facultatives ?

Il existe deux types d’endosymbioses : obligatoires (primaires) et facultatives (secondaires). Une relation est dite obligatoire lorsque l’endosymbiote ne peut pas survivre en dehors de son hôte, lorsque son absence limite le développement ou le succès reproducteur de l’insecte, ou encore lorsque cette absence cause la mort de ce dernier. Heureusement, l’histoire évolutive des espèces en endosymbiose a favorisé le maintien de la relation – qui est généralement mutualiste – par des moyens tels que la transmission verticale des endosymbiotes (de la mère à sa progéniture)[5]. Ce mode de transmission peut être lié à plusieurs mécanismes. Les plus communs sont associés à la présence d’organes spécialisés qui vont, lors de la ponte, enduire les œufs des insectes d’endosymbiotes bactériens ou fongiques qui, à leur tour, recouvriront les larves à leur sortie[6]. Chez l’homme, les mitochondries, qui sont d’anciens endosymbiotes obligatoires, sont transmises uniquement par la mère.

Les endosymbiotes obligatoires bactériens et fongiques colonisent de larges cellules (≈ 100 μm de diamètre) de l’hôte. Ces cellules formeront fréquemment des organes spécialisés, à savoir des bactériomes lorsque les cellules sont colonisées par des bactéries, ou des mycétomes quand il s’agit de champignons microscopiques[7]. Souvent, ces organes seront présents dans le système digestif et dans l’appareil reproducteur des hôtes, ce qui permettra aux endosymbiotes de jouer un rôle dans la nutrition des insectes et qui facilitera leur transmission d’une génération à l’autre.

D’autres endosymbioses sont pour leur part qualifiées de facultatives, quand l’hôte et l’endosymbiote peuvent survivre l’un sans l’autre. Ces associations peuvent reposer tant sur le mutualisme, qui favorise la survie de l’insecte, que sur le parasitisme reproductif qui assurera la transmission de l’endosymbiote. Dans ce dernier cas, la relation sera maintenue grâce aux capacités de l’endosymbiote à persister dans l’hôte sans trop lui nuire, à la transmission verticale (maternelle) et à la transmission horizontale, qui s’effectue lors d’un contact avec un organisme infecté par l’endosymbiote[8].

Les endosymbiotes secondaires se distribuent aléatoirement dans l’hôte. Ils se trouvent fréquemment sous forme libre dans l’hémolymphe (le « sang »  des insectes) ou regroupés dans diverses cavités internes. Chez l’homme, les endosymbiotes les plus connus sont principalement bactériens. Ils constituent majoritairement la flore intestinale et seront acquis après la naissance. Ainsi, les enfants naissent avec une flore intestinale plutôt stérile et se montrent plus vulnérables aux maladies, car, en plus de faciliter la digestion et l’intégration de nombreux nutriments essentiels, les endosymbiotes interagissent avec le système immunitaire en promouvant la maturation de ses cellules et leur fonctionnement normal[9]. En outre, des endosymbiotes tapisseront la bouche, la peau et les organes sexuels, et y joueront des rôles diversifiés.

Comment les endosymbiotes influencent-ils leur hôte ?

Les endosymbiotes mutualistes, tant primaires que secondaires, favorisent la survie et la reproduction des insectes par la nutrition, la séquestration et la décomposition de substances chimiques toxiques, et la protection contre d’autres micro-organismes ou ennemis naturels. C’est pourquoi ils se distribuent largement au sein du système digestif. Les endosymbiotes seront aussi avantagés par la relation qu’ils entretiennent avec leur hôte. En effet, les insectes possèdent des gènes qui favoriseront la croissance de ces micro-organismes[10]. En soi, leur corps constitue même un habitat stable favorisant la survie des endosymbiotes. Les insectes ayant une diète très particulière, tels que ceux qui se nourrissent uniquement de végétaux, de feuillage, de bois et de sang, seraient fortement carencés s’ils ne bénéficiaient pas d’une source exogène d’éléments nutritifs essentiels. À titre d’exemple, certaines familles d’insectes dépendent de leurs endosymbiotes bactériens pour obtenir les 10 acides aminés et autres cofacteurs enzymatiques absents de leur alimentation[11]. Pour les hématophages (les parasites se nourrissant de sang), certains endosymbiotes bactériens présents chez la mouche tsé-tsé (Glossina spp.) comblent de nombreuses carences en vitamines B et en cofacteurs essentiels, ce qui leur permet une diète aussi restreinte[12]. Les champignons microscopiques jouent aussi un rôle actif dans le recyclage, la décomposition et la synthèse de nombreux éléments nutritifs difficilement assimilables et améliorent les capacités digestives des insectes[13]. Fort heureusement, l’homme bénéficie également de la présence d’endosymbiotes qui lui permettent notamment de digérer certains sucres et lipides[14]. D’ailleurs, la médecine s’intéresse de plus en plus, ces dernières années, au rôle des probiotiques sur la santé digestive et générale de ceux qui en consomment.

En matière de protection de leur hôte, un rôle actif est attribué aux endosymbiotes. La présence de ces micro-organismes peut influencer le système immunitaire des insectes en activant des mécanismes de défense. Ainsi, les endosymbiotes bactériens protégeraient les insectes contre les attaques de bactéries, de virus, de protistes, de nématodes, de champignons, de parasitoïdes et de prédateurs[15]. Quelques espèces de champignons microscopiques ont la capacité de neutraliser différentes substances toxiques ingérées (mycotoxines et insecticides, par exemple) ; d’autres parviennent même à modifier la couleur des insectes pour les protéger de la prédation[16]. Quant aux endosymbiotes viraux, ils peuvent activer la production de toxines chez l’insecte, lui conférant une protection accrue face aux attaques d’autres organismes pathogènes[17]. L’homme aussi bénéficie d’endosymbiotes qui renforcent son système immunitaire et le protègent également d’organismes pathogènes. Fait connu : l’administration d’antibiotiques pour traiter certaines infections bactériennes modifie le spectre d’endosymbiotes normalement présents chez l’homme et favorise l’infection digestive à Clostridium difficile, bien connue dans les hôpitaux[18]. Cela démontre que certains endosymbiotes constituent une barrière naturelle contre le C. difficile.

Certains endosymbiotes bactériens en relation de mutualisme avec un insecte présenteraient un effet bénéfique sur la fécondité de ce dernier. Toutefois, des relations apparentées au parasitisme entraînent plutôt un effet négatif sur le succès reproducteur de l’hôte. En effet, certains endosymbiotes bactériens « manipulent » la reproduction de l’insecte afin d’accroître leur propre transmission par la lignée maternelle. Quatre types de manipulations de la reproduction sont observées chez les endosymbiotes (voir l’encadré ci-dessous) et, parmi ceux-ci, la bactérie Wolbachia, qui infecte plus de 50 % des espèces d’insectes, parvient à toutes les exploiter et affecte divers processus évolutifs[19]. Malgré leur apparence néfaste, ces mécanismes favorisent la spéciation, donc l’apparition de nouvelles espèces. Les connaissances actuelles laissent croire que l’homme serait pour sa part dépourvu de ce type d’endosymbiotes. C’est au moyen de la nutrition, de la protection contre diverses maladies, virus et parasites, de la détoxification de composés nocifs et de la modification de la reproduction que les endosymbiotes continuent de favoriser les insectes, mais aussi d’autres organismes vivants tels que l’humain.

Ces quatre types de manipulations sont :

  • l’incompatibilité cytoplasmique (diminution du nombre de descendants, associée à l’accouplement de femelles non infectées avec des mâles infectés) 
  • la parthénogenèse (production d’une progéniture issue d’un gamète femelle non fécondé) 
  • la dégénérescence des embryons mâles, ou male killing 
  • la féminisation des mâles, qui deviennent des femelles21

 

Quelle est la finalité de l’endosymbiose ?

La finalité de la relation d’endosymbiose dépend principalement du niveau d’influence et du niveau d’intégration de l’endosymbiote avec son hôte. En général, plus l’association est ancienne, plus le niveau d’intégration est élevé, ce qui fait que l’hôte transmettra davantage d’endosymbiotes à chaque génération. Le meilleur exemple d’intégration complète d’un endosymbiote se trouve dans toutes les cellules animales et végétales. En effet, d’anciennes relations endosymbiotiques entre des animaux et des α-protéobactéries, ainsi qu’entre des végétaux et des cyanobactéries, ont conduit à l’apparition des cellules eucaryotes (contenant un véritable noyau) telles qu’on les connaît aujourd’hui20. Précisément, les α-protéobactéries sont devenues des mitochondries (organites), qui sont les centrales énergétiques des cellules de tous les organismes complexes (humains, champignons, plantes, etc.). De même, les cyanobactéries ont évolué en organites nommés « plastes », aux rôles variés, et présents dans les cellules d’algues et de certaines plantes. Parmi eux, les chromoplastes retiennent la chlorophylle, qui donne la couleur verte des végétaux ; les leucoplastes, sans pigments, emmagasinent des réserves ou synthétisent des acides ; et les chloroplastes captent la lumière nécessaire à la photosynthèse. La biologie moléculaire a exploré les relations entre les endosymbiotes et leur hôte, en identifiant d’abord ces derniers, puis en évaluant leur rôle chez une panoplie d’organismes vivants. En outre, l’identification de ces micro-organismes a aussi permis d’établir le degré d’incidence de chacun sur son hôte. Dans le futur, les spécialistes de la discipline devraient aborder plus en profondeur les interactions entre les partenaires et l’effet de l’assemblage microbien sur les hôtes.

Une des questions de recherche de l’heure est liée à la détermination, chez les insectes et les araignées, des moyens employés par les endosymbiotes pour prendre le contrôle de leur hôte et modifier leur comportement. Par exemple, la bactérie Wolbachia sp. parvient à modifier le choix des partenaires sexuels chez plusieurs espèces d’insectes, par des mécanismes dont certains demeurent incompris à ce jour22. Aussi, de nombreuses recherches se concentrent sur les relations endosymbiotiques entre l’homme et son assemblage microbien normal, notamment sur les impacts de ces assemblages et de l’environnement sur la santé humaine. En effet, il semblerait que la prévalence d’une panoplie de maladies dépende de la combinaison d’endosymbiotes microbiens. À titre d’exemple, un simple déséquilibre de cet assemblage serait corrélé à la susceptibilité d’être affecté par le virus de la grippe ou à la prédisposition au cancer du côlon23. Bref, une compréhension de ces interactions conduira-t-elle l’homme à trouver de nouveaux moyens de contrôler la transmission de maladies par les insectes vecteurs tels que les moustiques, qui transmettent de nombreux virus ? C’est une question qui se pose actuellement en parasitologie 24.

Références


[1] De Bary, A. (1879). Die Erscheinung der Symbiose: Vortrag [De la symbiose]. Strasburg, Allemagne : Verlag.

[2] Moran, N. A. (2006). Symbiosis. Current Biology, 16(2), 866-871.

[3] Ishikawa, H. (2003). Insect symbiosis: An Introduction Dans K. Bourtzis et T. A. Miller (dir.), Insect Symbiosis (p. 1-22). Boca Raton, Floride : CRC Press.

[4] McCutcheon, J. P. et Moran, N. A. (2012). Extreme genome reduction in symbiotic bacteria. Nature Microbiology, 10, 13-26.

Weiss, B. L. et Arksoy, S. (2011). Microbiome influences on insect host vector competence. Trends in Paratology, 27(11), 514-522.

[5] Moran, op. cit.

[6] Nardon, P. et Heddi, A. (2013). La symbiose chez les insectes phytophages et granivores. Dans  N. Sauvion, P. A. Calatayud, D. Thiéry et F. Marion-Poll (dir.), Interactions insectes-plantes (p. 127-136). Paris, France : Quæ IRD Éditions.

[7] Douglas, A. E. (1989). Mycetocyte symbiosis in insects. Biological Review, 64, 409-434.

[8] Haine, E. R. (2008). Symbiont-mediated protection. Proceedings of the Royal Society B:  Biological Sciences, 265(1633), 353-361.

[9] Clemente, J. C., Ursell, L. K., Wegener Parfrey, L. et Knight, R. (2012). The impact of the gut microbiota on human health: An integrative view. Cell, 148(6), 1258-1270.

[10] Haine, op. cit.

[11] Gibson, C. M. et Hunter, M. S. (2010). Extraordinarily widespread and fantastically complex: Comparative biology of endosymbiotic bacterial and fungal mutualists of insects. Ecology Letters, 13, 223-234.

[12] Weiss et Arksoy, op. cit.

[13] Gibson et Hunter, op. cit.

[14] Lombardo, M. P. (2008). Access to mutualistic endosymbiotic microbes: An underappreciated benefit of group living. Behavioral Ecology Sociobiology, 62, 479-497.

[15] Eleftherianos, I., Atri, J., Accetta, J. et Castillo, J. C. (2013). Endosymbiotic bacteria in insects: Guardians of the immune system? Frontiers in Physiology, 4(46). doi : 10.3389/fphys.2013.00046

[16] Vega, F. E. et Dowd, P. F. (2005). The role of yeasts as insects endosymbionts. Dans F. E. Vega et M. Blackwell (dir.), Insect-Fungal Associations: Ecology and Evolution (p. 211-243). New York : Oxford University Press.

[17] Roossinck, M. J. (2011). The good viruses: Viral mutualistic symbioses. Nature Microbiology, 9, 99-108.

[18] Lombardo, op. cit.

[19] Hilgenboecker, K., Hammerstein, P., Schlattmann, P., Telschow, A. et Werren, J. H. (2008). How many species are infected with Wolbachia?—A statistical analysis of current data. FEMS Microbiology Letters, 281(2), 215-220.

20 Moran, op.cit.

21 Weiss et Arksoy, op. cit.

22 Goodacre, S.L. et Martin, O. Y. (2012). Modification of insect and arachnid behaviours by vertically transmitted endosymbionts: Infections as drivers of behavioural change and evolutionary novelty. Insect, 3(1), 246-261. doi : 10.3390/insects3010246

23 Clemente, Ursell, Wegener Parfrey et Knight, op. cit.

24 Slatko, B. E., Luck, A. L., Dobson, S. L. et Foster, J. M. (2014). Wolbachia endosymbionts and human disease control. Molecular and Biochemical parasitology, 195(2), 88-95.

 



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