SANTÉ — Allergies, un combat bientôt gagné ?

Marie-Anne Boisjoli — Programme de maîtrise en pharmacologie clinique

SANTÉ — Allergies, un combat bientôt gagné ?

Les signes et symptômes apparaissant à la suite du déclenchement d’une réaction allergique sont nombreux et peuvent s’étaler sur une échelle de sévérité allant de simples écoulements nasaux à des chocs anaphylactiques pouvant être fatals. Bien que le traitement d’immunothérapie ait depuis longtemps fait ses preuves pour traiter les allergies, son utilisation demeure restreinte et n’est pas sans risques. Cependant, le développement des technologies de laboratoire pourrait augmenter l’efficacité du traitement d’immunothérapie, notamment grâce à l’utilisation de produits conçus en laboratoire. De plus, des découvertes récentes pourraient mener à de nouveaux traitements pour les allergies.

Les allergies courantes, telles les allergies au pollen, à la nourriture et aux piqûres d’insectes, affecteraient globalement plus d’une personne sur quatre [1]. Au Québec, le nombre d’enfants atteints d’une allergie alimentaire ne cesse d’augmenter [2]. Récemment, le gouvernement québécois a octroyé une somme de près de 800 000 $ au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine pour soutenir l’implantation d’une clinique d’immunothérapie orale qui devrait ouvrir ses portes bientôt [3]. L’immunothérapie orale est un traitement pour les allergies dans lequel les patients doivent ingérer des quantités précises de l’aliment auquel ils sont allergiques sans qu’aucun médicament leur soit administré [4]. Le traitement d’immunothérapie orale sera offert pour la première fois au Québec [5] grâce à cette clinique, mais le principe qui le fonde est connu depuis longtemps. De façon semblable, le traitement d’immunothérapie dans lequel l’agent responsable de l’allergie est administré sous la peau est aussi utilisé depuis plusieurs années. Les nouvelles technologies ainsi que la recherche sur les allergies pourraient toutefois apporter des traitements innovateurs pour contrer les allergies.

L’allergie à livre ouvert

Une allergie peut être comparée au résultat de la rencontre entre un système de défense survolté et un agent considéré comme un ennemi bien qu’il n’en soit pas un. Dans ce contexte, le système immunitaire du corps humain réagit de manière excessive à l’agent auquel un individu est allergique (aliment, pollen, poussière) malgré le fait que celui-ci ne constitue pas une vraie menace pour l’organisme, à l’opposé des bactéries et des virus. Pour qu’une réaction allergique se déclenche, plusieurs types de cellules du système immunitaire doivent occuper un rôle précis et différents types de molécules doivent être produits afin de propager la réaction allergique.

La première rencontre entre le système immunitaire et l’allergène * est décisive. Une réaction allergique ne surviendra que si une production d’anticorps * de type E [6] suit l’exposition initiale à l’allergène. Ces anticorps se fixeront sur des mastocytes * et, telles des sentinelles, guetteront la présence de l’allergène dans le corps. Ainsi, lorsque l’allergène se retrouve de nouveau dans l’organisme, les anticorps le détectent rapidement et se lient à lui comme des sentinelles captureraient un ennemi afin de le neutraliser. Tout de suite après, le mastocyte libère dans le corps diverses molécules [7] qui, telle une armée de soldats agissant pour défendre sa nation, affecteront d’autres éléments du système immunitaire. Les signes et les symptômes d’une allergie font alors leur apparition rapidement.

Vers de nouvelles thérapies

Depuis déjà cent ans, le traitement à base d’immunothérapie est utilisé pour apaiser les symptômes allergiques [8]. Cette thérapie permet, au bout de quelques années, de désensibiliser ou, dans d’autres termes, de diminuer la réponse du système immunitaire en présence d’un allergène précis. Le principe du traitement à base d’immunothérapie est simple : des extraits comportant des doses croissantes de l’allergène naturel auquel un individu est allergique lui sont administrés à une semaine d’intervalle jusqu’à ce que la dose d’entretien * soit atteinte [9]. Par la suite, la dose d’entretien est administrée au patient chaque mois sur une période pouvant s’étaler de trois à cinq ans [10]. Malgré l’efficacité du traitement d’immunothérapie, son utilisation est restreinte aux patients répondant à des critères précis, dont la présence dans leur organisme d’anticorps de type E, afin d’assurer son efficacité. De plus, chez les personnes âgées et les enfants de moins de 5 ans, les avantages autant que les risques liés à ces catégories d’âge doivent être pris en considération [11]. Enfin, le traitement à base d’immunothérapie comporte des risques, dont le développement d’une réaction allergique sévère dans les trente minutes suivant l’administration de l’allergène [12].

Plusieurs modifications et autres possibilités au traitement d’immunothérapie ont été étudiées au cours des dernières décennies. En premier lieu, grâce au développement des technologies de laboratoire, un allergène peut aujourd’hui être reproduit en laboratoire, puisque les constituants qui le composent sont maintenant connus. Cette technique peut être utilisée de diverses manières dans un contexte thérapeutique. Tout d’abord, elle permet la production d’allergènes purifiés et ayant des propriétés semblables à l’allergène naturel [13] ; un tel produit pourrait s’avérer utile dans les cas où un allergène serait difficile à extraire ou présent seulement en faible quantité. Ensuite, la production d’allergènes en laboratoire pourrait permettre de combiner différents allergènes, par exemple dans les cas où une personne est allergique à divers types de pollen [14].

En deuxième lieu, des chercheurs ont conçu en laboratoire un anticorps qu’ils ont nommé « omalizumab ». L’omalizumab agit comme un bouclier, empêchant les anticorps de type E de se lier aux mastocytes [15]. Ainsi, la probabilité qu’une réaction allergique survienne se trouverait diminuée. L’ajout d’omalizumab au traitement d’immunothérapie permettrait donc de réduire considérablement les symptômes allergiques tout en diminuant le risque qu’une réaction allergique grave se déclenche [16].

En 2015, la Dre McCusker, une chercheuse de l’Hôpital de Montréal pour enfants, et les membres de son équipe sont parvenus à concevoir une molécule nommée « STAT6-IP » qui, après avoir été injectée à plusieurs reprises chez des souriceaux et au bout de six semaines, empêche le développement d’une réaction allergique chez ceux-ci [17]. Toutefois, les effets bénéfiques de STAT6-IP ne se produiraient que si une autre molécule naturellement produite par le corps humain, TGF-β, qui a elle aussi des effets spécifiques sur le système immunitaire, est également présente dans l’organisme [18]. D’ici l’an 2020, afin de déterminer si elle pourrait être utilisée comme traitement pour les allergies, STAT6-IP sera probablement testée chez des humains [19].

Assurément, des modifications au traitement d’immunothérapie traditionnel amélioreraient de façon notable l’efficacité de ce dernier. De plus, grâce aux travaux en cours des chercheurs, de nouvelles stratégies de traitement contre les allergies pourraient faire leur apparition, tel un traitement à base de la molécule prometteuse STAT6-IP. Avec ces avancées, un plus grand nombre de personnes pourraient bénéficier d’un traitement pour les allergies et un plus large éventail d’allergies pourraient être traitées.

 

Lexique 

Allergène : agent normalement inoffensif reconnu par le corps humain comme un agent contre lequel le corps doit se défendre.

Anticorps : molécule présente dans le corps humain ayant la capacité de reconnaître une molécule spécifique et de se lier à elle lorsque cette dernière est présente dans le corps [20].

Dose d’entretien : dose d’allergène induisant une réaction prédéfinie dans les trente minutes suivant l’administration de la substance [21].

Mastocyte : type spécifique de cellule du système immunitaire qui joue un rôle important dans le développement d’une réaction allergique.

 

Références

[1] Edlmayr, J., Niespodziana, K., Focke-Tejkl, M., Linhart, B. et Valenta, R. (2011). Allergen-specific immunotherapy: Towards combination vaccines for allergic and infectious diseases. Dans R. Valenta et R. L. Coffman (dir.), Vaccines Against Allergies. Berlin, Allemagne : Spinger-Verlag Berlin Heidelberg.

Murphy, K. (2012). Janeway’s Immunobiology (8e éd.). New York, N. Y. : Garland Science, Taylor & Francis Group, LLC.

[2] Ici Radio-Canada. (2017). Un traitement prometteur au CHU Sainte-Justine pour les enfants allergiques. Repéré à http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1053258/nouveau-traitement-ito-chu-sainte-justine-enfants-allergie-immunotherapie-orale-quebec-investissement-sante

[3] Ibid.

[4] Graham, F. et Bégin, P. (2016). L’immunothérapie orale pour le traitement des allergies alimentaires. Repéré à https://allerg.qc.ca/Information_allergique/OIT%202016.pdf

[5] Ici Radio-Canada, op. cit.

[6] Murphy, op. cit.

[7] Ibid.

[8] Ring, J. (2005). Allergy in Practice. New York, N. Y. : Springer-Verlag Berlin Heidelberg.

[9] Association des allergologues et immunologues du Québec (AAIQ). (2010). Immunothérapie par voie sous-cutanée pour le traitement des allergies : consensus québécois. Repéré à http://www.allerg.qc.ca/index.php

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] Gaillard, J., Bart, P.-A., Leimgruber, A. et Spertini, F. (2011). Désensibilisation. Vers de nouvelles perspectives. Revue médicale suisse, 7, 850-855. Repéré à https://www.revmed.ch/RMS/2011/RMS-291/Desensibilisation-vers-de-nouvelles-perspectives

[14] Edlmayr et al., op. cit.

Nelson, H. S. (2014). Chapter 87: Injection immunotherapy for inhalant allergens. Dans N. F. Adkinson, B. S. Bochner, A. W. Burks, W. W. Busse, S. T. Holgate, R. F. Lemanske et R. E. O’Hehir (dir.), Middleton’s Allergy: Principles and Practice (8e éd., vol. 2). Philadelphie, Penns. : Elsevier-Saunders.

[15] Stokes, J. R. et Casale, T. B. (2014). Chapter 92: Anti-immunoglobulin E therapy. Dans N. F. Adkinson, B. S. Bochner, A. W. Burks, W. W. Busse, S. T. Holgate, R. F. Lemanske et R. E. O’Hehir (dir.), Middleton’s Allergy: Principles and Practice (8e éd., vol. 2). Philadelphie, Penns. : Elsevier-Saunders.

[16] Gaillard et al., op. cit.

[17] Québec Science. (2015). 10 découvertes 2015. [7] Une stratégie antiallergique. Repéré à http://www.quebecscience.qc.ca/10-decouvertes-2015/7-Une-strategie-antiallergique

[18] Michael, H., Li, Y., Wang, Y., Xue, D., Shan, J., Mazer, B. D. et McCusker, C. T. (2015). TGF-β mediated airway tolerance to allergens induced by peptide-based immunomodulatory mucosal vaccination. Mucosal Immunology, 8(6), 1248-1261. doi : 10.1038/mi.2015.15

[19] Québec Science, op. cit.

[20] Murphy, op. cit.

[21] AAIQ, op. cit.

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