CHRONIQUE — Se droguer pour performer ?

Sonia Lupien — Chercheure en neurosciences

CHRONIQUE — Se droguer pour performer ?

Alors que l’utilisation de certains médicaments pour contrer le stress ou pour augmenter la capacité à se surpasser peut sembler bénéfique, la réalité est pourtant tout autre. De récentes études lèvent le voile sur ces idées reçues.

Dans la revue Dire de l’été 2018 (vol. 27, no 2), Cassandre Ville signe un texte très intéressant sur la médicalisation du stress des musiciens. Elle y rapporte les résultats d’une enquête qui montre qu’une majorité de musiciens d’orchestre affirme souffrir de trac et que 30 % d’entre eux auraient déjà eu recours à des bêtabloquants pour atténuer les effets du stress sur leur performance.

Lorsqu’une personne est stressée, un système endocrinien s’active et mène à la production d’adrénaline, une hormone de stress. Les bêtabloquants agissent en empêchant la fixation d’adrénaline sur les récepteurs du système sympathique, ce qui atténue la sensation de stress vécue par la personne. Quel phénomène efficace pour réduire le trac du musicien, me direz-vous ! Pas vraiment, aurais-je tendance à vous répondre. En effet, si l’adrénaline existe, ce n’est pas pour diminuer notre performance, mais bien pour nous aider à survivre ! Des études effectuées dans mon laboratoire ont montré que l’adrénaline est nécessaire pour bien mémoriser les événements émotionnels (négatifs et positifs) de notre vie.

Dans le cadre d’une étude publiée en 2004, mon étudiante Françoise Maheu a administré des bêtabloquants ou un placebo à un groupe de participants âgés de 19 à 36 ans[1]. Après avoir administré le bêtabloquant ou le placebo, elle a présenté aux participants un court diaporama relatant l’histoire d’une jeune fille qui visite ses grands-parents et qui se blesse très sérieusement en aidant son grand-père à couper du bois. Immédiatement après qu’ils ont vu l’histoire et une semaine plus tard, elle a demandé aux participants de se rappeler le plus d’informations possible de l’histoire qu’ils avaient visionnée. Les résultats ont montré que les participants ayant reçu des bêtabloquants avant d’être exposés à l’histoire se rappelaient significativement moins d’informations émotionnelles que ceux ayant reçu un placebo, et ce, aussi bien lorsqu’on leur demandait de se souvenir de l’histoire immédiatement après y avoir été exposés qu’une semaine plus tard.

Ces résultats ont permis de démontrer que consommer des bêtabloquants dans le but de diminuer une réponse de stress vient avec un prix à payer. Oui, la personne vivra moins de trac lors de sa prestation musicale, par exemple, mais elle aura tendance à ne pas se rappeler les informations émotives entourant cet événement pourtant si important ! Bien sûr, dans notre étude, les participants sous bêtabloquants se souvenaient moins bien des informations négatives de l’histoire et cela pourrait être vu comme un avantage additionnel des bêtabloquants. Toutefois, que les bêtabloquants affectent aussi le rappel d’informations positives est tout à fait possible. Qui plus est, se souvenir d’informations négatives est essentiel si on veut s’améliorer et bien comprendre la nature de ses erreurs.

Au-delà des drogues qui peuvent diminuer le stress et permettre de « mieux performer », les nouvelles générations d’étudiants semblent s’intéresser aussi aux diverses drogues qui ont la propriété d’augmenter la performance cognitive. Dans une étude effectuée auprès de 6 275 étudiants, des chercheurs suisses ont montré que 13,8 % des étudiants rapportaient avoir utilisé des drogues censées augmenter leur performance cognitive[2]. La drogue la plus fréquemment choisie par les étudiants était le méthylphénidate (Ritalin), que beaucoup de jeunes avouaient avoir dérobé à des amis ou à des membres de leur famille qui prenaient ce médicament pour traiter un déficit d’attention.

La plupart des gens qui consomment ces drogues pour augmenter leur performance cognitive sont persuadés qu’elles les aident vraiment à mieux étudier et à performer. Pourtant, une étude publiée en 2013 et effectuée auprès d’étudiants en médecine qui prenaient du méthylphénidate au moment d’étudier a révélé que l’utilisation de cette substance n’avait aucun effet positif concret sur la performance cognitive, à l’exception du fait de prolonger l’éveil[3]. En effet, les chercheurs ont montré que le méthylphénidate augmente la capacité de résister à la distraction (stabilité cognitive), mais qu’il diminue de manière significative la flexibilité cognitive. Ainsi, et tout comme les bêtabloquants, le méthylphénidate est une épée à double tranchant, qui peut stimuler un type de cognition au détriment d’un autre, avec en fin de compte un effet net qui est très peu significatif.

En somme, ce que ces études montrent est que lorsqu’on tente de modifier des systèmes biologiques pour augmenter la performance, on joue toujours avec un système extrêmement complexe qui peut induire des conséquences qui viennent contrecarrer les effets attendus. Alors, pour performer sans stress, rien de mieux qu’une bonne nuit de sommeil et un bon jogging avant le concert ! Et pour augmenter ses notes, rien de mieux que de s’asseoir… et étudier à tête reposée !

Références

[1]Maheu, F. S., Joober, R., Beaulieu, S. et Lupien, S. J. (2004). Differential effects of adrenergic and corticosteroid hormonal systems on human short- and long-term declarative memory for emotionally arousing material. Behavioral Neuroscience, 118(2), 420-428.

[2]Fallon, S. J., van der Schaaf, M. E., Ter Huurne, N. et Cools, R. (2017). The neurocognitive cost of enhancing cognitionwithmethylphenidate: Improved distractor resistance but impaired updating. Journal of Cognitive Neuroscience, 29(4), 652-663.

[3]Maier, L. J., Liechti, M. E., Herzig, F. et Schaub, M. P. (2013). To dope or not to dope: Neuroenhancement with prescription drugs and drugs of abuse among Swiss university students. PlosOne,8(11), e77967.

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