CHRONIQUE — L’art d’enseigner les sciences

Michel Rochon — Communicateur scientifique

CHRONIQUE — L’art d’enseigner les sciences

L’enseignement des sciences au Québec ne se porte pas bien depuis des décennies, comme ailleurs en Occident. Selon de nombreuses études, les élèves du primaire et du secondaire ne semblent pas percevoir la pertinence de la science et trouvent ses différentes matières difficiles. C’est là un grand défi à surmonter au moment où la science doit connaître un essor.

Il est 8 h 30 du matin. Nous entrons dans l’auditorium du Département de pathologie de l’Université McGill. Il fait un froid de canard en cette journée d’automne, mais tous les étudiants sont fébriles à l’idée de passer trois autres heures avec ce scientifique hors-norme. Personne n’a de cahier pour prendre de notes, nous savons que cela est inutile. La classe devient soudainement silencieuse, car de l’arrière de la salle, on entend des pas. Il arrive, portant sa célèbre chienne de laboratoire discrètement maculée de sang. Les mains dans les poches, cet homme séduisant aux cheveux sel et poivre commence son long monologue. Ce matin, il nous parle du philosophe grec et père de la médecine occidentale Hippocrate. Il nous fascine avec sa description détaillée de l’art d’observer le patient pour tenter de détecter une pathologie.

Notre professeur arrive justement d’une autopsie, car Huntington Sheldon est médecin légiste. Nous sommes pendus à ses lèvres lorsqu’il décrit comment il a déterminé la cause du décès de son patient, simplement en examinant ses signes extérieurs, avant même de le disséquer. Pourtant, le cours d’aujourd’hui devait porter sur un tout autre sujet, les maladies tropicales. Rien à voir. Et il nous fait le coup toutes les semaines. Il termine la séance en nous disant quelles pages lire, et nous sortons heureux, à la hâte, pour aller le faire. De toute façon, c’est lui qui a rédigé notre manuel de pathologie. Voilà pour le moins une manière originale de donner un cours ! Pour Huntington Sheldon, ce n’est pas transmettre la matière qui compte le plus en classe, mais plutôt faire naître chez ses étudiants la passion pour les sciences et le goût d’apprendre.

Cette histoire date de 1979. C’est ma façon de rendre hommage à ce grand médecin qui est décédé il n’y a pas si longtemps, en décembre 2017, et qui m’a beaucoup inspiré et encouragé comme jeune étudiant. Et je me suis toujours demandé pourquoi je n’avais pas eu un pédagogue de cette envergure au primaire et au secondaire. Je crois encore, quarante ans plus tard, que de communiquer et d’enseigner la science est un art, celui de donner le goût de la science, et ce, dès l’enfance.

Comme le souligne le journaliste scientifique Joël Leblanc dans son article du magazine Québec Science de septembre dernier [1], l’enseignement des sciences est le parent pauvre du système scolaire québécois, tant au primaire qu’au secondaire. Depuis la « réforme » du système scolaire en 2000, on n’a pas été en mesure de former les maîtres, pour les domaines scientifiques, à des méthodes pédagogiques innovantes et captivantes pour les jeunes.

Ce n’est pas un manuel scolaire révolutionnaire qui est nécessaire ici, mais des façons interactives de faire découvrir et vivre l’émerveillement face à la découverte scientifique. Par l’entremise d’expériences ludiques et interactives, des animateurs scientifiques comme les Neurones Atomiques font un travail remarquable en ce sens en offrant ponctuellement des ateliers dans les écoles du Québec. Ils sont toutefois trop peu nombreux à le faire. Il faut néanmoins se réjouir de certaines initiatives récentes pour améliorer cette situation, comme le cours Didactique des sciences et technologie, dans le cadre du baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire offert à l’UQAM. D’ailleurs, grâce à de vétérans communicateurs comme Pierre Chastenay, la didactique des sciences ouvre maintenant la voie à de nouvelles façons d’enseigner et de former les pédagogues de demain.

En ce sens, je me souviens d’un reportage sur l’enseignement des mathématiques que j’avais eu la chance de produire à l’émission Découverte à Radio-Canada. Nous avions suivi Robert Lyons, le co-inventeur, avec son frère Michel, de la méthode Défi mathématique, qui a connu un certain succès dans le réseau de l’éducation au Québec. Dans une classe du primaire de quatrième année, ce mathématicien avait réussi le tour de force devant nos caméras : il avait aisément permis à ces enfants de faire de l’algèbre de quatrième secondaire en utilisant l’astuce de la construction d’un plancher de cuisine avec des tuiles carrées. Je me rappelle son insistance à me faire comprendre qu’il fallait enseigner les mathématiques dans une perspective chronologique et historique, expliquer aux jeunes le contexte et l’utilité de chaque découverte mathématique, donc donner un sens à cette discipline souvent perçue comme pénible et abstraite par bien des jeunes.

Cette difficulté à bien communiquer la science persiste même chez les scientifiques. Il y a quelques années, lors d’un stage en journalisme scientifique à la clinique du sommeil de l’Université de Lyon – rendue célèbre par les travaux sur le sommeil paradoxal de Michel Jouvet –, je m’étais un peu indigné de voir comment leurs affiches scientifiques étaient imbuvables, comme c’est trop souvent le cas. J’avais donc proposé un atelier pour examiner comment se servir de ces affiches pour raconter une histoire, comment en simplifier le discours et alléger leur propos, tout cela pour aider le scientifique à faire le meilleur récit possible de sa recherche devant l’affiche lors de congrès scientifiques.

Et vous, chers lectrices et lecteurs, étudiants à la maîtrise et au doctorat, qui avez surmonté les embûches de votre formation scolaire, pensez également à la façon dont vous communiquez votre science et vos résultats, tant à vos collègues qu’à vos élèves – pour certains d’entre vous – et à vos amis. Il faut raconter une histoire. Celle du problème à résoudre et du chemin parcouru pour y parvenir ; celle du chercheur et de sa quête ; celle de la méthode scientifique et de l’eurêka qui couronne le travail, ou pas… Comme le disait l’artiste du neuvième art George Rémi, alias Hergé, une bonne histoire captive toujours son lecteur, de 7 à 77 ans. La science n’y manque pas !

Pour aller plus loin : les causes et des solutions

Au Québec, on se questionne sur les causes et les solutions pour rendre la science plus attrayante pour les étudiants. Je vous suggère d’aller voir le travail de quelques groupes de recherche à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Sherbrooke. Le Département de didactique de l’UQAM travaille activement à développer des méthodes innovantes pour enseigner les sciences. Un de ces professeurs, Patrice Potvin, détient aussi la Chaire de recherche sur l’intérêt des jeunes pour les sciences et la technologie – CRIJEST[2] – dont participe l’Université de Sherbrooke et il dirige également EREST, l’Équipe de recherche en éducation scientifique et technologique [3]. Leur récente étude sur l’intérêt et la motivation des jeunes pour les sciences de la vie au collégial brosse un tableau détaillé des complexités et des défis que soulève l’enseignement des sciences [4].

Crédit photo : Pierre Tonietto

Références

[1] Leblanc, J. (2019, septembre). L’échec de l’enseignement des sciences. Québec Science. Repéré à https://www.quebecscience.qc.ca/societe/echec-enseignement-sciences/

[2] Repéré à http://www.crijest.org/

[3] Repéré à https://erest.uqam.ca

[4] Pronovost, M., Cormier, C., Potvin, P. et Riopel, M. (2017, mai). Intérêt et motivation des jeunes pour les sciences. Communication présentée au colloque « Journée de la recherche sur la motivation au collégial », ACFAS, Montréal, Québec. Repéré à https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/34831/pronovost-cormier-potvin-riopel-interet-motivation-jeunes-sciences-article-acfas-2017.pdf

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