CHRONIQUE — Serons-nous les prochains dinosaures ?

Robert Lamontagne — Astrophysicien

CHRONIQUE — Serons-nous les prochains dinosaures ?

Robert Lamontagne est astrophysicien. Depuis peu à la retraite, il a été, pendant plus de 30 ans, chercheur et chargé de cours à l’Université de Montréal, astronome-ingénieur et directeur du télescope de l’Observatoire du Mont-Mégantic, ainsi que coordonnateur du Centre de recherche en astrophysique du Québec.

Récemment, une petite équipe de recherche et d’ingénierie a réussi l’exploit remarquable d’altérer la trajectoire d’un corps céleste en le percutant avec une sonde spatiale. Menée par la pilote québécoise Julie Bellerose, l’équipe du Johns Hopkins Applied Physics Laboratory et de la NASA a ainsi permis à l’humanité d’entrer dans l’ère de « l’ingénierie astronomique ».

Depuis la formation de notre planète, qui remonte à près de 4,6 milliards d’années, des centaines de milliards d’astéroïdes de toute taille l’ont percutée. Plus nombreux au cours des 600 premiers millions d’années, ces impacts ont, entre autres, apporté l’eau sur la Terre. La collision avec l’un de ces planétoïdes, plus gros que les autres, a même mené à la formation de la Lune. Avec le temps, la fréquence et la taille des impacteurs se sont amenuisées. Cependant, bien que faible aujourd’hui, la probabilité de collisions n’est pas nulle et les conséquences pour notre planète pourraient ne pas être négligeables.

Au cours des 30 dernières années, plusieurs programmes d’observation dédiés à la découverte d’astéroïdes géocroiseurs ― ceux dont l’orbite autour du Soleil les amène à croiser celle de la Terre ― ont permis de recenser ceux qui présentent une possible menace. La liste comprend plus de 30 000 objets, dont la taille varie entre quelques dizaines de mètres et quelques kilomètres. Les plus petits, quoique difficiles à repérer, ne posent presque aucun danger. Tout au plus peuvent-ils provoquer des dégâts tels que ceux survenus dans l’oblast de Tcheliabinsk, en février 2013, à la suite de la désintégration d’un bolide d’une quinzaine de mètres. À l’opposé, une collision avec ceux dont la taille excède un kilomètre entraînerait des conséquences planétaires et provoquerait une extinction de masse semblable à celle qui a mené à la disparition des dinosaures et de 75 % des espèces, un événement qui remonte à 66 millions d’années. Ces gros astéroïdes sont heureusement rares. Près de 900 sont connus, et aucun n’est sur une trajectoire de collision avec notre planète pour les prochains siècles. De plus, parce qu’ils sont plus faciles à découvrir, les spécialistes considèrent que plus de 95 % de ces gros impacteurs potentiels sont identifiés. Le risque n’est donc (presque) pas de ce côté.

Le véritable danger provient des géocroiseurs de taille intermédiaire, ceux qui mesurent entre 140 mètres et un kilomètre. Ils sont suffisamment petits pour rendre leur détection ardue, tout en étant assez gros pour produire des dégâts substantiels à l’échelle d’une vaste région. Même si la probabilité d’une collision avec un tel bolide demeure faible, elle est estimée à environ une tous les 20 000 à 50 000 ans. L’impact de l’un d’eux dévasterait une superficie équivalente à la région métropolitaine de Montréal. Les victimes se compteraient alors par millions et les répercussions se feraient sentir sur l’ensemble de la civilisation planétaire. À ce jour, environ 10 300 géocroiseurs intermédiaires sont connus, et heureusement, aucune collision avec l’un d’eux n’est prévue sur un horizon d’environ deux siècles. Toutefois, les scientifiques ont repéré moins de 50 % de ces géocroiseurs intermédiaires. La menace est donc bien réelle.

La stratégie pour protéger notre planète s’articule autour de deux axes. La première étape est de poursuivre et de compléter le plus rapidement possible le recensement des géocroiseurs plus gros que 140 mètres. En effet, mieux connaître à l’avance le nombre et les orbites de ces impacteurs potentiels facilite la déviation de leur trajectoire. Ainsi, une très légère modification de la vitesse ou de la direction d’un impacteur, effectuée à grande distance et le plus longtemps à l’avance, fera en sorte que celui-ci rate sa cible, c’est-à-dire la Terre, lorsqu’il croisera son orbite.

La mission DART (Double Asteroid Redirection Test), accomplie avec succès en septembre dernier, a permis de démontrer la faisabilité de la seconde phase de la stratégie de protection planétaire et notre capacité à la mettre en œuvre. Dans ce cas précis, l’objectif consistait à percuter un petit astéroïde de 160 mètres appelé Dimorphos, en orbite autour de l’astéroïde Didymos, lequel est plus imposant, avec une sonde de la taille d’une voiturette de golf. Dans ce jeu de billard cosmique, les mesures subséquentes ont révélé que l’impact a réduit la vitesse et le rayon de l’orbite de Dimorphos, de telle sorte que sa période de révolution autour de Didymos est environ 32 minutes plus courte. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire, des scientifiques ont volontairement modifié la trajectoire d’un objet dans le cosmos. En d’autres termes, l’homme est désormais en mesure de faire de l’ingénierie à une échelle cosmique !

Avec cet exploit technologique, l’humanité pourrait, tout naturellement, s’enorgueillir d’échapper au sort qui a mené à la disparition des dinosaures. Cependant, l’actualité lui rappelle tous les jours qu’elle fait face à une menace beaucoup plus immédiate, celle des changements climatiques. Ses actions, tant celles du passé lointain comme le développement de l’agriculture il y a plusieurs millénaires que les plus récentes liées à l’industrialisation des deux derniers siècles, font en sorte que la concentration des gaz à effet de serre augmente sans cesse. L’espèce humaine s’est lancée sur la voie périlleuse de l’ingénierie planétaire et met en danger l’avenir de la vie sur la planète Terre. Or, contrairement aux dinosaures, qui ignoraient la menace qui planait sur eux, notre civilisation, depuis plusieurs décennies, est pleinement consciente de la portée de ses gestes et surtout des mesures qui doivent être appliquées afin de corriger le tir. L’Homme moderne saura-t-il vraiment faire mieux que les dinosaures ?

Encadré

Robert Lamontagne est titulaire d’un doctorat en physique (1983) de l’Université de Montréal. Initialement, ses travaux de recherche ont porté sur l’étude des propriétés d’étoiles massives appelées Wolf-Rayet et sur celles des étoiles plus petites de type naine blanche et sous-naine. Depuis plus de 25 ans, il s’intéresse surtout à l’astrobiologie, dont l’objectif est de comprendre l’origine, l’évolution et le destin de la vie dans l’Univers.

Au cours de sa carrière, Robert Lamontagne a promu sans relâche l’astronomie et les sciences auprès du public. Il est l’un des invités les plus sollicités du réseau de conférenciers et de conférencières Les belles heures de l’Université de Montréal et de l’Université du troisième âge de l’Université de Sherbrooke. Il intervient régulièrement dans les médias pour éclaircir des points de l’actualité scientifique. Il a d’ailleurs reçu le grade de chevalier de l’Ordre de la Pléiade, décerné par l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, pour sa contribution à la diffusion de la science et de la culture scientifique.

Fort de son expérience, il est convaincu que la culture scientifique fait de nous de meilleurs citoyens et citoyennes du monde.

 

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