BIOLOGIE — Le microbiote à la rescousse du bleuetier sauvage

Simon Morvan — Programme de doctorat en sciences biologiques

BIOLOGIE — Le microbiote à la rescousse du bleuetier sauvage

Le bleuet sauvage représente un marché en plein essor au Canada, premier producteur et exportateur mondial de ce fruit. Pour faire face à la demande, l’industrie cherche à adapter ses pratiques afin d’améliorer l’état de santé des bleuetiers et d’accroître leur rendement. Les micro-organismes du sol pourraient lui venir en aide. En effet, une équipe de recherche de l’Institut de recherche en biologie végétale du Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal s’est penchée sur le sujet. Ses résultats ont montré que plusieurs espèces de bactéries et de champignons pourraient améliorer la performance et donc la productivité des bleuetiers sauvages grâce à une meilleure absorption en azote.

Le bleuet est un petit fruit qui existe depuis plus de 10 000 ans et trouve ses origines en Amérique du Nord. Les populations autochtones lui attribuaient une origine divine, leurs légendes racontant que le « Grand Esprit » envoyait cette baie dont l’extrémité affiche une forme d’étoile afin de subvenir aux besoins des enfants en période de famine. Également utilisé en médecine traditionnelle pour des thés relaxants faits à partir de ses racines, ce fruit était offert aux premières personnes venues d’Europe pour établir des colonies en Amérique du Nord, lesquelles ont vite été séduites par cette nouveauté dans leur alimentation. Les historiennes et les historiens estiment d’ailleurs que les chances sont élevées que le bleuet ait trouvé sa place sur la table de la première Action de grâce célébrée sur le territoire nord-américain.

Une baie emblématique

Le nom de cette petite baie bleue sert notamment à surnommer les personnes habitant la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, haut lieu de production du bleuet dans la province. Qu’il soit mangé frais ou incorporé dans des crêpes ou des muffins, le bleuet est apprécié pour ses qualités gustatives. De plus, sa concentration en anthocyanes, un antioxydant qui lui donne entre autres sa couleur bleutée, est l’une des plus élevées parmi les fruits offerts sur les étalages[1]. Des recherches ont permis d’établir que la consommation de bleuets a de nombreux effets bénéfiques sur les fonctions cognitives et cardiovasculaires[2]. Pour ces raisons, la demande en bleuets augmente dans le monde entier[3] et l’industrie est constamment à la recherche de pratiques agricoles pouvant améliorer le rendement des plants.

Comme c’est le cas pour le nom d’autres végétaux, le terme générique bleuet renvoie en fait à différentes espèces de cette baie. Les bleuetiers sauvages, ou bleuetiers nains, sont de petits arbustes cultivés dans l’est de l’Amérique du Nord, essentiellement au Québec, dans les provinces maritimes ainsi que dans l’État du Maine, aux États-Unis. La culture des bleuetiers en corymbe, une autre espèce de bleuetier, est plus répandue que celle des bleuetiers sauvages et se fait entre autres au Brésil, au Chili et au Mexique. Ces deux espèces se différencient notamment par la taille de leurs fruits, les bleuets sauvages étant plus petits. Les bleuets trouvés sur les étalages des épiceries sont généralement des bleuets en corymbe. Toutefois, s’ils proviennent du Saguenay–Lac-Saint-Jean, les chances sont plus grandes qu’ils soient des bleuets sauvages. De plus, la culture du bleuetier en corymbe s’apparente davantage à une culture en verger, avec des arbustes implantés en champs, tandis que les bleuetières produisant des bleuets sauvages sont établies sur des terres où des plants sont préexistants.

Au Québec, les plants réellement sauvages se trouvent dans la forêt boréale ou dans d’anciennes fermes que les bleuetiers ont colonisées[4]. En effet, le terme sauvage pour désigner cette espèce de bleuetier est plus ou moins bien choisi, puisque ces fruits sont en fait cultivés (à l’exception de ceux qui sont ramassés en forêt). Les bleuets sauvages n’ont de sauvage que leur origine : ce ne sont pas les plants qui sont implantés dans des champs, mais plutôt les champs qui se créent autour de plants natifs. Aussi, les bleuetiers sauvages s’établissent dans un sol ayant une forte teneur en matière organique et où les nutriments essentiels ne sont pas directement absorbables par la plante. De plus, ce sol est relativement acide, ce qui augmente la biodisponibilité* en métaux lourds, qui sont toxiques pour les végétaux. Dans ces conditions, comment fait le bleuetier sauvage pour prospérer et être autant en santé ?

Une bleuetière peu avant la récolte
Source : Simon Morvan


L’appui du microbiote

Le buisson du bleuetier n’est que la pointe de l’iceberg, car sous sa partie émergée, le sol entourant les racines est un milieu qui grouille de vie. En effet, le microbiote* racinaire est une communauté complexe incluant des micro-organismes présents dans différentes niches écologiques : certains peuvent pénétrer à l’intérieur des racines tandis que d’autres restent dans la rhizosphère*, à la surface des racines et dans la fine zone de sol qu’elles influencent. Les plantes exercent une pression de sélection sur ces micro-organismes et peuvent, dans une certaine mesure, mobiliser les micro-organismes dont les fonctions leur seront bénéfiques. Parmi les différents micro-organismes, les bactéries et les champignons sont les deux règnes couramment étudiés en raison des effets qu’ils peuvent avoir sur le végétal avec lequel ils interagissent.

Les bleuetiers appartiennent à la famille des Éricacées, qui inclut entre autres la canneberge, les rhododendrons et les bruyères. Cette famille a la particularité de s’associer à de microscopiques champignons mycorhiziens, qui sont des champignons qui établissent une symbiose* bénéfique avec leur plante hôte. Les filaments du champignon (ou hyphes)pénètrent la première couche de cellules des jeunes racines et y forment un enchevêtrement dense semblable à une pelote de laine[5]. À partir de cette pelote, les deux organismes établissent les échanges caractéristiques de la symbiose mycorhizienne. La plante fournit ainsi au champignon des sucres qu’elle produit grâce à la photosynthèse (processus transformant l’eau et le dioxyde de carbone en sucres grâce à l’énergie lumineuse du soleil). Ces sucres servent au champignon à produire de l’énergie et l’aident à prospérer. En échange, le champignon procure des nutriments essentiels à la plante. En effet, les champignons mycorhiziens possèdent un arsenal d’enzymes* adaptées aux conditions acides qui dégradent la matière organique et qui rendent ainsi les nutriments accessibles au champignon, lequel peut ensuite les transmettre à la plante[6]. Cette capacité des champignons mycorhiziens de libérer les nutriments des formes organiques dans lesquelles ils sont bloqués représente une réelle aubaine pour les bleuetiers sauvages, puisqu’ils poussent pour la plupart dans un sol appauvri en nutriments disponibles.

Par ailleurs, les champignons mycorhiziens jouent un rôle protecteur vis-à-vis des métaux lourds en prévenant leur absorption par les racines des plantes qu’ils colonisent[7]. Ainsi, la capacité des bleuetiers sauvages à se satisfaire de ces conditions dépend notamment de cette symbiose mycorhizienne salutaire[8]. Plusieurs études ont en effet montré que la présence de certaines espèces de ces champignons améliorait la croissance[9] ainsi que l’absorption en azote[10] et en phosphore[11] des Éricacées.

Les quatre principaux types de symbioses mycorhiziennes
Adaptée de Fortin, J. A., Plenchette, C. et Piché, Y. (2015). Les mycorhizes : la nouvelle révolution verte. MultiMondes, p. 17 et 22.


Des bactéries inattendues

En plus des champignons, un lot d’espèces de bactéries peut également influencer de manière positive la croissance d’une plante[12]. Parmi les fonctions bactériennes bénéfiques découvertes, les recherches ont révélé notamment la fixation de l’azote atmosphérique, la production d’hormones qui améliorent la croissance des plantes ou encore la protection contre des micro-organismes infectieux. Pourtant, l’effet des communautés bactériennes sur les bleuetiers a été peu étudié jusqu’à maintenant.

Bien que les connaissances sur les champignons mycorhiziens s’associant aux Éricacées datent de plus de vingt ans, les études se penchant sur le microbiote du milieu racinaire des bleuetiers sauvages en conditions réelles sont peu nombreuses. Le laboratoire du professeur Mohamed Hijri de l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal s’est donc intéressé à ce sujet en récoltant des plants de bleuets et leur sol dans trois bleuetières de Saint-Honoré, dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Grâce au séquençage à haut débit (une technique permettant d’identifier des espèces grâce à leur ADN), l’équipe de recherche a pu mettre au jour les communautés bactériennes et fongiques présentes dans le sol rhizosphérique des échantillons prélevés. Les résultats ont montré la dominance d’un groupe de champignons connu pour contenir de nombreuses espèces de champignons mycorhiziens qui s’associent aux Éricacées. Du côté des bactéries, le groupe qui domine la communauté inclut plusieurs espèces capables de fixer l’azote atmosphérique.

Par ailleurs, l’équipe du laboratoire a identifié plusieurs espèces de bactéries fixatrices d’azote et de champignons mycorhiziens d’intérêt. En effet, plus la quantité de ces espèces était élevée dans les échantillons, plus la concentration d’azote dans les feuilles des bleuetiers échantillonnés était haute. Ce résultat est doublement intéressant parce que l’azote est l’un des trois nutriments essentiels aux plantes (avec le phosphore et le potassium) et qu’il est difficilement accessible dans le sol où poussent les bleuetiers. Afin de valider l’importance de ces espèces bactériennes et fongiques, une prochaine étape serait de les inoculer* sur des bleuetiers pour voir si ceux-ci absorberont mieux l’azote que des bleuetiers non inoculés[13].

Les micro-organismes et l’agriculture

L’influence positive des micro-organismes sur la productivité des plants encourage les chercheurs et les chercheuses à trouver des moyens d’en tirer profit[14]. De plus, le nombre de bleuetières en agriculture biologique (qui fonctionne sans traitements ayant recours à des produits chimiques de synthèse) augmente fortement au Québec. Ce mode de production doit faire face aux mêmes défis que l’agriculture conventionnelle, mais il dispose de moins de produits pour traiter les diverses maladies et les ravageurs[15]. Mieux comprendre les systèmes biologiques est donc essentiel pour avoir une agriculture à la fois productive et durable. C’est dans cette optique que deux autres études mesurant l’effet des pratiques agricoles sur le microbiote du bleuetier sauvage ont vu le jour au sein du laboratoire du professeur Hijri.

La première cherche à savoir si la fauche thermique, qui consiste à brûler les tiges après la récolte afin d’en stimuler la productivité, a une influence sur les communautés bactériennes et fongiques du milieu racinaire des bleuetiers sauvages. Les effets du feu sur les microbes ont déjà été bien étudiés dans le cadre des incendies forestiers, qui bouleversent la communauté microbienne, affectée par la chaleur. Cependant, cette pratique se distingue des feux de forêt par sa faible intensité et pourrait donc avoir des répercussions minimes sur le microbiote. La deuxième étude se penche sur les effets du type de fertilisation (minérale, organique ou absente) sur le microbiote racinaire. La fertilisation minérale permet d’accroître la disponibilité en nutriments directement assimilables par la plante. Cependant, elle pourrait avoir une influence négative sur la présence des champignons mycorhiziens, qui perdraient leur utilité en tant que fournisseurs de nutriments.

À terme, les résultats de ces différentes études pourraient aider à la confection de bio-inoculants. Ces produits composés de diverses espèces de bactéries et de champignons pourraient s’ajouter aux engrais chimiques appliqués sur les parcelles, voire les remplacer. Ces projets permettront d’en apprendre plus sur l’écosystème invisible, mais essentiel du microbiote racinaire. C’est en effet grâce à la compréhension des phénomènes naturels complexes que l’agriculture pourra progressivement se passer des produits chimiques néfastes à la biodiversité.

Lexique :

Biodisponibilité : capacité d’assimilation d’un élément par une plante, un micro-organisme ou par la faune présente dans le sol.

Microbiote : ensemble de micro-organismes (bactéries, champignons, virus, etc.) vivant dans un milieu.

Rhizosphère ou sol rhizosphérique : zone du sol sous l’influence des racines.

Symbiose : association biologique, durable et réciproquement profitable entre deux organismes vivants.

Enzyme : protéine capable de catalyser des réactions chimiques.

Inoculer : introduire des cellules ou des organismes dans un milieu ou un autre organisme.

 

Références

[1] Kalt, W., Cassidy, A., Howard, L. R., Krikorian, R., Stull, A. J., Tremblay, F. et Zamora-Ros, R. (2020). Recent research on the health benefits of blueberries and their anthocyanins. Advances in Nutrition, 11(2), 224-236.

[2] Whyte, A. R., Cheng, N., Fromentin, E. et Williams, C. M. (2018). A randomized, double-blinded, placebo-controlled study to compare the safety and efficacy of low dose enhanced wild blueberry powder and wild blueberry extract (ThinkBlue™) in maintenance of episodic and working memory in older adults. Nutrients, 10(6), 660.

[3] Brazelton, C. (2013). World blueberry acreage and production. North American Blueberry Council.

[4] Yarborough, D. E. (2012). Establishment and management of the cultivated lowbush blueberry (Vaccinium angustifolium). International Journal of Fruit Science, 12(1-3), 14-22.

[5] Smith, S. E. et Read, D. J. (2010). Mycorrhizal symbiosis. Academic Press.

[6] Martino, E., Morin, E., Grelet, G. A., Kuo, A., Kohler, A., Daghino, S., Barry, K. W., Cichocki, N., Clum, A., Dockter, R. B., Hainaut, M., Kuo, R. C., LaButti, K., Lindahl, B. D., Lindquist, E. A., Lipzen, A., Khouja, H. R., Magnuson, J., Murat, C., … Perotto, S. (2018). Comparative genomics and transcriptomics depict ericoid mycorrhizal fungi as versatile saprotrophs and plant mutualists. New Phytologist, 217(3), 1213-1229.

[7] Perotto, S., Girlanda, M. et Martino, E. (2002). Ericoid mycorrhizal fungi: Some new perspectives on old acquaintances. Dans S. E. Smith et F. A. Smith (dir.), Diversity and integration in mycorrhizas (p. 41-53). Dordrecht.

[8] Cairney, J. W. et Meharg, A. A. (2003). Ericoid mycorrhiza: A partnership that exploits harsh edaphic conditions. European Journal of Soil Science, 54(4), 735-740.

[9] Wei, X., Chen, J., Zhang, C., Liu, H., Zheng, X. et Mu, J. (2020). Ericoid mycorrhizal fungus enhances microcutting rooting of Rhododendron fortunei and subsequent growth. Horticulture research, 7(1), 1-11.

[10] Kerley, S. J. et Read, D. J. (1995). The biology of mycorrhiza in the Ericaceae: XVIII. Chitin degration by Hymenoscyphus ericae and transfer of chitin-nitrogen to the host plant. New Phytologist, 131, 369-375.

[11] Cairney, J. W. G. et Burke, R. M. (1998). Extracellular enzyme activities of the ericoid mycorrhizal endophyte Hymenoscyphus ericae (Read) Korf & Kernan: Their likely roles in decomposition of dead plant tissue in soil. Plant and Soil, 205(2), 181-192.

[12] Adesemoye, A. O., Torbert, H. A. et Kloepper, J. W. (2009). Plant growth-promoting rhizobacteria allow reduced application rates of chemical fertilizers. Microbial Ecology, 58, 921-929.

[13] Morvan, S., Meglouli, H., Lounès‐Hadj Sahraoui, A. et Hijri, M. (2020). Into the wild blueberry (Vaccinium angustifolium) rhizosphere microbiota. Environmental Microbiology, 22(9), 3803-3822.

[14] Parnell, J. J., Berka, R., Young, H. A., Sturino, J. M., Kang, Y., Barnhart, D. M. et DiLeo, M. V. (2016). From the lab to the farm: An industrial perspective of plant beneficial microorganisms. Frontiers in Plant Science, 7, 1110.

[15] Drummond, F., Smagula, J., Annis, S. et Yarborough, D. (2009). Organic wild blueberry production. Maine Agricultural and Forest Experiment Station Bulletin, 852, p. 43.

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