De plus en plus reconnue au Québec, l’expertise neuropsychologique en contexte judiciaire permet de brosser un portrait clair et détaillé de la cognition d’une personne accusée. Les neuropsychologues sont ainsi amenés à réaliser des évaluations et des expertises légales et à témoigner dans différents types de procès, notamment ceux qui impliquent une défense de non-responsabilité criminelle.
Dans l’article Attorney demands for protected psychological test information: Is access necessary for cross examination or does it lead to misinformation? An Interorganizational position paper, publié en mai 2024, Kyle Brauer Boone et ses collègues, un collectif de neuropsychologues, de psychologues, d’avocats et d’avocates, exposent les dérives déontologiques et éthiques liées à l’accès par des tierces parties aux tests neuropsychologiques utilisés dans les expertises légales [1].
À l’heure actuelle, les membres du Barreau n’ont généralement qu’une idée globale du contenu des tests neuropsychologiques utilisés lors de procès criminels. Dans leur quête légitime d’obtenir le maximum d’informations pour défendre leur clientèle et mener les contre-interrogatoires, les avocates et avocats sont toutefois de plus en plus nombreux à demander l’accès aux résultats de ces tests, et donc à leur contenu, lors des démarches pénales qui nécessitent l’expertise d’un ou d’une neuropsychologue [2]. Si ces demandes venaient à être autorisées par les tribunaux, cela pourrait compromettre l’avenir de la neuropsychologie légale pour plusieurs raisons [3].
L’une des principales préoccupations soulevées par le collectif ayant signé la prise de position concerne la possibilité de mésinformation, une forme de désinformation involontaire, pouvant survenir lors de procès criminels [4]. Dans les faits, l’interprétation des résultats d’un test neuropsychologique exige plusieurs années d’expérience et constitue une tâche réservée aux neuropsychologues. Une personne tierce ne possédant pas cette expertise pourrait mésinformer le juge et le jury, ce qui pourrait nuire aux deux partis, au détriment du droit à une justice équitable [5].
Le risque que les membres du Barreau préparent leur clientèle à répondre aux questions précises des tests après y avoir eu accès constitue une autre préoccupation importante. Les données montrent que seulement 8 % des avocats et des avocates semblent instruire leur clientèle à répondre spécifiquement à certaines questions [6], alors que 75 % accompagnent déjà les personnes accusées en parcourant au préalable avec elles le contenu global des tests [7]. Or, puisqu’ils fournissent des réponses objectives et valides quant à la cognition d’une personne accusée, les tests ne doivent pas être connus à l’avance [8].
Quoi qu’il en soit, le recours à des experts et des expertes en neuropsychologie est désormais bien établi dans le domaine de la pratique et de la recherche médicolégales [9]. Sans l’ajout à la preuve d’une documentation objective de la cognition d’un individu fondée sur des données probantes issues de tests neuropsychologiques valides, les partis impliqués doivent se fier uniquement à l’expérience subjective autorapportée des personnes accusées [10]. Cette situation pose un problème particulièrement lorsque les motivations inhérentes à la simulation de symptômes neuropsychologiques dans un contexte judiciaire sont considérées [11].
Le fait de fournir le contenu des tests neuropsychologiques et leurs résultats aux tierces parties ne présente aucun avantage manifeste pour les avocats et avocates. Au contraire, autoriser l’accès à ces données compromettrait de manière irréversible l’intégrité et la validité de l’expertise neuropsycholégale [12]. L’une des solutions proposées par le collectif vise donc à continuer de légiférer par des mesures qui permettront d’éviter que les tierces parties accèdent à ces tests et à leurs résultats afin de préserver leur confidentialité [13].
Références
[1] Boone, K. B., Kaufmann, P. M., Sweet, J. J., Leatherberry, D., Beattey, R. A. Jr., Silva, D., Victor, T. L., Boone, R. P., Spector, J., Hebben, N., Hanks, R. A. et James, J. (2024). Attorney demands for protected psychological test information: Is access necessary for cross examination or does it lead to misinformation? An interorganizational* position paper. The Clinical Neuropsychologist, 38(4), 889-906. https://doi.org/10.1080/13854046.2024.2323222
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Aparcero, M., Picard, E. H., Nijdam-Jones, A. et Rosenfeld, B. (2021). The impact of coaching on feigned psychiatric and medical symptoms: A meta-analysis using the MMPI-2. Psychological Assessment, 33(8), 729-745. https://doi.org/10.1037/pas0001016
[7] Essig, S. M., Mittenberg, W., Petersen, R. S., Strauman, S. et Cooper, J. T. (2001). Practices in forensic neuropsychology: Perspectives of neuropsychologists and trial attorneys. Archives of Clinical Neuropsychology, 16(3), 271-291. https://doi.org/10.1093/arclin/16.3.271
[8] Boone et al., op.cit.
[9] Sweet, J. J., Boone, K. B., Denney, R. L., Hebben, N., Marcopulos, B. A., Morgan, J. E., Nelson, N. W. et Westerveld, M. (2023). Forensic neuropsychology: History and current status. The Clinical Neuropsychologist, 37(3), 459-474. https://doi.org/10.1080/13854046.2022.2078740
[10] Boone et al., op.cit.
[11] Rogers, R. et Bender, S. D. (2013). Evaluation of malingering and related response styles. Dans R. K. Otto et I. B. Weiner (dir.), Handbook of Psychology: Forensic Psychology (2e éd., vol. 11, p. 517-554). John Wiley & Sons, Inc.
[12] Boone et al., op.cit.
[13] Ibid.