SANTÉ — Plonger de hauteurs vertigineuses : tout un sport !

Marion Cossin — Programme de doctorat en génie biomédical

SANTÉ — Plonger de hauteurs vertigineuses : tout un sport !

Le plongeon de haut vol est une discipline sportive qui consiste à s’élancer d’une plateforme ou d’une falaise de plus de 20 mètres afin de plonger dans un lac, une rivière ou une piscine. Les quelques dizaines de personnes dans le monde qui pratiquent le high dive ou le cliff diving doivent parfaitement maîtriser leur discipline. En effet, l’impact lors de l’entrée à l’eau comporte de nombreux risques de blessures. Retour sur les dangers et les exigences de ce sport hors du commun.

Lysanne Richard est membre de l’équipe nationale de plongeon de haut vol, la seule représentante du Canada sur le circuit international [1]. En 2016, la Québécoise, alors âgée de 35 ans, a fini première à la Coupe du monde de la Fédération internationale de natation (FINA). Entre le moment où Lysanne Richard quitte la plateforme et celui où elle entre dans l’eau, elle exécute entre deux et quatre figures acrobatiques. Elle doit toujours savoir à quelle distance elle se situe de l’eau pour qu’au bon moment, elle puisse adopter une position sécuritaire – les pieds pointés vers l’eau, le corps vertical et tonifié – pour entrer dans l’eau. Elle atteint à cet instant une vitesse de plus de 70 km/h et la force d’impact est colossale. Elle doit donc parfaitement maîtriser son entrée dans l’eau, sous peine de subir de lourdes blessures.

Un sport en plein essor

La FINA a inscrit le plongeon de haut vol au programme des championnats du monde de natation de Barcelone en 2013, mais les premières compétitions de ce sport ont eu lieu en 2009. Depuis, chaque année, une compétition de plongeon, la Red Bull Cliff Diving World Series, se déroule un peu partout dans le monde, autant à partir de falaises sauvages que dans des environnements urbains. Chaque événement attire plusieurs dizaines de milliers de spectateurs [2]. Cette discipline a pour origine une tradition hawaïenne datant du 18e siècle. Kamehameha, le roi de l’époque, avait pour habitude de tester la bravoure de ses guerriers d’élite en leur faisant faire le « saut de la foi » du haut d’une falaise de 24 mètres [3]. Dans les compétitions, le départ se fait d’une plateforme dont la hauteur est fixée à 20 mètres pour les femmes et à 27 mètres pour les hommes. Lors de la dernière Coupe du monde, la FINA a proposé au Comité international olympique d’intégrer les épreuves de plongeon de haut vol au programme des Jeux olympiques de Tokyo de 2020 [4].

Pour l’organisation des compétitions, des normes et dispositifs de sécurité ainsi que des règles sont nécessaires afin de sécuriser ce sport. Ces mesures consistent en un bassin d’une profondeur minimum de six mètres, la présence d’une équipe médicale sur place et d’une équipe de plongeurs (sous-marins) avec bouteilles d’oxygène autour de la zone de réception, l’obligation pour les sportifs de finir leur saut en entrant les pieds en premier dans l’eau, et l’obligation de présenter ses figures au jury avant le saut [5]. Pour le reste, le plongeon de haut vol ne diffère en rien des autres disciplines de plongeon : l’athlète doit effectuer, devant un jury, des figures acrobatiques esthétiques et difficiles avant de pénétrer dans l’eau.

Une chute de 27 mètres en 3 secondes

Lorsque le plongeur de haut vol s’élance, il cherche à se donner une direction horizontale afin de s’éloigner de la plateforme. Il veut aussi sauter le plus haut possible pour gagner de la hauteur et donc du temps pour effectuer les acrobaties désirées. En réalité, la trajectoire du plongeur suit la forme d’une courbe, comme celle que fait une balle qui finit par retomber vers le sol : ce mouvement s’appelle une « trajectoire parabolique » [6]. Quand le plongeur est dans les airs, il se retrouve en chute libre *, ce qui signifie qu’il subit l’accélération gravitationnelle terrestre, qui vaut 9,81 m/s2. Ainsi, le plongeur chute vers l’eau de plus en plus rapidement au fil de chaque instant qui passe. En chute libre, une hauteur de 20 ou 27 mètres est considérée comme petite pour un être humain, et la résistance de l’air – qui pourrait ralentir la chute – devient négligeable. Les équations reliant la hauteur de la chute et l’accélération gravitationnelle terrestre permettent de déterminer le temps que met le plongeur pour toucher l’eau. Le calcul donne environ 2 secondes pour une hauteur de 20 mètres. Un plongeon dure en réalité entre 2 et 3 secondes selon la hauteur de chute, car le plongeur atteint une hauteur plus grande que la hauteur de la plateforme et il suit une trajectoire parabolique.

Une entrée dans l’eau fracassante

De la même manière que le temps dans les airs, la vitesse du plongeur au moment de son entrée à l’eau, aussi appelée « vitesse d’impact », peut être calculée. Étant donné que cette vitesse ne dépend pas de la masse du plongeur, deux plongeurs de masse différente toucheront l’eau exactement en même temps. Pour un saut de 20 mètres comme celui que réalise Lysanne Richard, la vitesse d’entrée à l’eau est de 71 km/h ; pour un saut de 27 mètres (catégorie des hommes), elle est de 80 km/h. En 1967, des chercheurs ont tenté d’établir la limite humaine de survie à un impact avec l’eau en étudiant les conditions de décès de personnes ayant sauté du pont du Golden Gate d’une hauteur de chute allant de 73 à 80 mètres [7]. Parmi les 169 décédés, 45 étaient morts de noyade et donc, pas de l’impact avec l’eau. Les chercheurs ont également recensé deux survivants. À la suite de cette étude, ils ont conclu que la survie à l’impact avec l’eau dépend de deux facteurs. Le premier est la position du corps à l’entrée à l’eau, qu’ils avaient déterminée grâce aux blessures répertoriées. Le deuxième est la durée de décélération dans l’eau, c’est-à-dire la durée que met le corps pour s’arrêter, une fois entré dans l’eau. Si une personne percute l’eau dans une position horizontale, son corps décélère très rapidement ; cependant, les organes internes continuent leur course, ce qui engendre une perforation des côtes et des poumons et donc la mort de la personne. Cette étude a aussi permis de définir la tolérance du corps humain, à savoir sa capacité à résister à une vitesse d’impact. La vitesse trouvée fut d’environ 120 km/h, ce qui correspond à une hauteur de chute d’environ 55 mètres. Le record du monde actuel de chute est de 58,8 mètres pour les hommes et de 36,8 mètres pour les femmes [8]. En comparaison, 60 mètres correspondent à un immeuble d’environ 30 étages.

Un freinage très brutal

Lors de son entrée à l’eau, le plongeur doit casser la tension de surface de l’eau. La tension de surface ou tension superficielle est une force qui existe à l’interface de deux milieux différents, l’eau et l’air dans ce cas-ci. Dans un liquide, les molécules exercent entre elles des forces d’attraction ou de répulsion dans toutes les directions. Chaque force d’attraction d’une molécule provoque une force de répulsion contraire chez une molécule voisine, et vice-versa. L’ensemble de ces forces est nul à l’intérieur du liquide, ce qui permet la stabilité du liquide. À la surface, par contre, ces forces ne s’annulent pas, les molécules d’eau créent une force dirigée vers l’air, mais comme l’air n’est pas constitué des mêmes molécules, l’interaction est différente. Les molécules d’eau forment une force de cohésion qui les retient entre elles. C’est cette force qui permet, entre autres, à certaines araignées d’eau douce de marcher sur l’eau. À la maison, ce phénomène peut être mis en évidence par un trombone déposé sur la surface de l’eau dans un verre. Cependant, l’eau salée et l’eau froide ont une tension de surface plus élevée que l’eau plate et l’eau chaude [9], et les plongeurs connaissent bien ce phénomène. Si un plongeur chute dans de l’eau froide et salée, il ressentira un impact bien plus fort. Cette réalité n’est toutefois qu’une sensation, car la tension de surface influence très peu le risque de blessure.

En effet, contrairement à la croyance populaire [10], ce n’est pas la tension de surface qui est dangereuse, mais la décélération qui suit le premier contact avec l’eau. Des études ont démontré que casser la tension de surface avec un objet avant l’arrivée d’une personne ne modifiait pas la décélération subie par celle-ci [11]. Lors de la décélération, le plongeur passe d’une vitesse de 71 à 0 km/h en moins d’un tiers de seconde, et les forces exercées sur le corps humain sont énormes. En 2014, des chercheurs en Italie ont modélisé un plongeur pour calculer la force d’impact. Ils ont trouvé une force comparable à 17 fois le poids du plongeur pour un poids de 80 kg [12] ; Lysanne Richard, qui pèse environ 60 kg, subit donc une force d’une tonne. La force exercée à la tête est comparable à se prendre un coup de poing, et ce, lors de chaque plongeon. Pour atténuer la force d’impact et améliorer la sécurité des plongeurs, des jets d’eau envoient des bulles dans la zone de réception. D’une part, la tension de surface se trouve diminuée par la présence de cavités d’air (les bulles), qui ajoute aussi un repère visuel supplémentaire pour le plongeur. D’autre part, et plus important encore, les bulles réduisent la densité de l’eau. Une densité plus faible prolonge la durée de décélération et donc atténue la force d’impact, ce qui contribue à diminuer le risque de blessure.

Les conséquences d’une mauvaise entrée à l’eau

Le plongeon récréatif est la quatrième cause de blessure à la moelle épinière aux États-Unis. Dans 90 % des cas, ces blessures provoquent une quadriplégie ou une tétraplégie [13]. Une entrée à l’eau ratée en raison d’une mauvaise position, un bassin de réception pas assez profond ou une hauteur de chute trop élevée peuvent entraîner une compression de la moelle épinière, des os fracturés ou des commotions cérébrales. Les blessures en plongeon récréatif et celles en plongeon professionnel sont toutefois très différentes. Des accidents en plongeon professionnel se produisent aussi, mais ils sont statistiquement moins graves ou moins fréquents. Pourquoi ? Parce que les plongeurs professionnels savent comment bien entrer à l’eau sans se blesser. Pas question d’entrer la tête en premier, d’avoir les jambes ouvertes et encore moins de faire un plat, ils en connaissent les risques de blessures majeures.

La force d’impact calculée par les chercheurs fournit non seulement la valeur maximale de la force, mais aussi le moment exact où le plongeur subit la plus grande amplitude de cette force. Contrairement à ce que pourrait laisser croire la logique, la force maximale n’apparaît pas au premier contact avec l’eau, mais environ 100 millisecondes après l’entrée à l’eau [14]. Par exemple, si le plongeur entre à l’eau les mains en premier, la force maximale s’exercera au niveau de son cou ou de ses épaules. Étant donné que l’articulation du cou n’est pas capable d’endurer cette force, le risque de blessure à la colonne cervicale ainsi que dans les articulations des bras devient très – trop – important, d’où la règle de sécurité de cette discipline de plonger les pieds en premier. Le fait d’entrer dans une position droite et non groupée est aussi crucial dans la diminution du risque de blessure mortelle. Entrer dans l’eau dans une position rigide et droite réduit la surface de contact avec l’eau et ainsi diminue la force de résistance de l’eau. Surtout, cette position augmente la durée de décélération du corps. En plus d’avoir une position tendue, le plongeur doit également avoir une entrée à l’eau la plus perpendiculaire par rapport à la surface de l’eau. Pour un athlète qui chute d’une hauteur de plongeon de 10 mètres et avec le corps penché de seulement 10 degrés par rapport à la verticale, des chercheurs ont montré que la force aux articulations nécessaire pour stabiliser le corps est déjà deux fois plus élevée que dans un plongeon réalisé verticalement [15]. Ainsi, dès 10 degrés d’inclinaison et plus le corps s’approche d’une position horizontale, plus la durée de décélération diminue et plus l’impact est dangereux. Plusieurs plongeurs racontent que quand ils ont la tête un peu penchée en avant, ils ressentent comme s’ils se prenaient un coup de poing sous le menton, et ils tombent directement inconscients dans l’eau [16]. Une équipe de plongeurs se trouve justement dans la zone de réception dans toutes les compétitions au cas où le plongeur perdrait conscience.

Certains pensent que ces plongeurs de l’extrême sont des accros à l’adrénaline. Pourtant, les athlètes de cette discipline se sont entraînés souvent plus de dix ans avant d’arriver à maîtriser parfaitement le plongeon en chute libre et son entrée à l’eau. Du sérieux, de la rigueur et des règles de sécurité très strictes sont la base de ce sport. Et si le public s’émerveille devant les sportifs de haut vol, la discipline souffre d’un manque d’information, d’éducation et de soutien financier. Le Parc olympique de Montréal est l’un des seuls lieux d’entraînement intérieur au monde pour les plongeurs de haut vol. Lysanne Richard, par exemple, s’y entraîne un seul jour par mois, à partir d’une plateforme située à 17 mètres de haut, alors qu’elle saute de 20 mètres en compétition[17]. Elle n’est pas la seule dans cette situation, la plupart des plongeurs de cette catégorie s’entraînant sur la hauteur de 20 mètres ou de 27 mètres le jour précédant la compétition [18]. L’entrée de cette discipline aux Jeux olympiques devrait favoriser la recherche pour notamment développer de meilleures techniques de préparation et d’entraînement, afin de permettre l’essor de ce sport en toute sécurité.

Lexique :

Chute libre : mouvement vertical effectué par un objet lorsqu’il ne subit que l’effet de la force gravitationnelle et aucune force de résistance.

Références

[1] Fortier, V. (2015). Le plongeon de haut vol, un sport extrême en plein essor. L’actualité. Repéré à http://lactualite.com/actualites/2015/12/23/sensations-fortes/

[2] Midi Libre. (2013). Plongeon haut vol : le vertige, un frisson et l’extase. Repéré à http://www.midilibre.fr/2013/05/26/plongeon-haut-vol-le-vertige-un-frisson-et-l-extase,704298.php

[3] Richard, L. (2016). En route vers Abu Dhabi. Bouge ! Le blog du centre sportif. Repéré à http://parcolympique.qc.ca/centresportif/blogue/sinspirer/2016/02/en-route-vers-abu-dhabi/

[4] Radio-Canada avec Agence France-Presse. (2017). Le plongeon de haut vol au programme des Jeux de Tokyo en 2020 ? Repéré à http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1030743/plongeon-haut-vol-ajout-jeux-olympiques-tokyo-2020-proposition-fina

[5] Fédération internationale de natation. (2015). High diving rules. Repéré à http://www.fina.org/content/high-diving-rules

[6] Allard, P. et Blanchi, J.-P. (2000). Analyse du mouvement humain par la biomécanique (2e éd.). Montréal, Qc : Décarie.

[7] Snyder, R.G. et Snow, C.C. (1967). Fatal injuries resulting from extreme water impact. Aerospace Medecine, 38(8), 779-783.

[8] Sampiero, J. (2015). Il bat un record de plongeon de haut vol. Repéré à https://www.redbull.com/ca-fr/plongeon-haut-vol-record-laso-schaller

[9] Vargaftik, N. B., Volkov, B. N. et Voljak, L. D. (1983). International tables of the surface tension of water. Journal of Physical and Chemical Reference Data, 12, 817.

[10] Discovery. (2003). MythBusters Episode 5: Hammer Bridge Drop, Buried Alive, Cola. Repéré à https://www.discovery.com/tv-shows/mythbusters/videos/hammer-jump-minimyth

[11] Ibid.

[12] Napolitano, S. (2014). Cliff diving: Water impact and video-analysis. Journal of Physical Education and Sport, 14(1), 93-97.

[13] Badman, B. L. et Rechtine, G. R. (2004). Spinal injury considerations in the competitive diver: A case report and review of the literature. Spine Journal, 4(5), 584-590.

[14] Napolitano, op. cit.

[15] Harrison, S. M., Cohen R. C. Z., Cleary, P. W., Barris, S. et Rose, G. (2012). Forces on the body during elite competitive platform diving. Ninth International Conference on CFD in the Minerals and Process Industries. CSIRO, Melbourne, Australie.

[16] Seckel, H. (2013). « Quand tu plonges de 27 mètres, le moindre truc qui dépasse, ça peut faire très mal ». Le Monde. Repéré à http://natation.blog.lemonde.fr/2013/07/29/limportant-cest-de-terminer-entier/

[17] Fortier, op.cit.

[18] Napolitano, op. cit.

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