SOCIÉTÉ — Communiquer pour mieux se comporter à l’école

Tania Carpentier — Programme de doctorat en psychopédagogie

SOCIÉTÉ — Communiquer pour mieux se comporter à l’école

Exprimer son désaccord, négocier son point de vue, tenir compte de celui d’autrui, voilà autant de défis pour les enfants ayant des difficultés de comportement. Ceux-ci peinent à réguler leurs émotions et optent souvent pour des comportements agressifs afin d’obtenir gain de cause. Or, ces enfants sont fortement à risque de vivre du rejet de la part de leurs camarades de classe. Développer leurs habiletés communicationnelles pourrait non seulement améliorer leurs capacités langagières, mais également contribuer à favoriser leur intégration scolaire.

Mentir, désobéir à répétition, faire mal aux autres élèves, défier l’autorité, transgresser les règles, voler ses pairs… Les manifestations de difficultés d’ordre comportemental chez les élèves sont nombreuses. Selon Line Massé, Nadia Desbiens et Catherine Lanaris, trois professeures et chercheuses québécoises s’intéressant aux difficultés de comportement en milieu scolaire, de plus en plus de jeunes présentent des difficultés, voire des incapacités, à s’adapter aux différentes situations d’apprentissage et à vivre des relations sociales harmonieuses et gratifiantes dans leur environnement scolaire[1]. Les difficultés comportementales manifestées par certains élèves, notamment l’agressivité et l’opposition, sont la source de plusieurs conflits en classe, autant avec les pairs qu’avec les enseignants. Ces comportements difficiles peuvent augmenter le stress chez les enseignants et mener à l’épuisement professionnel[2]. La recherche a toutefois permis de définir plusieurs interventions efficaces, telles que les stratégies cognitivo-comportementales* et le développement des habiletés socioémotionnelles*, qui favorisent le développement de comportements mieux adaptés chez les enfants[3]. Bien que la communication soit au cœur de ces stratégies d’intervention, peu de chercheurs et de praticiens ont proposé des pistes d’intervention pour stimuler les habiletés communicationnelles chez les élèves ayant des difficultés de comportement, alors que la plupart d’entre eux présentent également des difficultés liées à la communication.

Stimuler la communication

Près de 80 % des enfants ayant des difficultés comportementales présenteraient des difficultés langagières, mais peu de recherches empiriques ont évalué les effets d’une intervention en communication sociale sur le comportement des enfants du primaire[4]. Toutefois, certaines pistes de solutions émergent de la littérature[5]. D’abord, l’enseignant peut adopter des stratégies de communication générales telles que réduire son débit de parole ou permettre le traitement de l’information en gardant le silence pendant quelques secondes après avoir formulé une question. Fournir des instructions explicites régulièrement et alimenter la communication à l’aide de questions ouvertes pourrait aussi s’avérer aidant. Ensuite, l’enseignant peut créer des occasions de communication en classe en exposant les élèves à des conversations fréquentes et en les encourageant à y participer. Ainsi, le développement des habiletés verbales, par exemple celles liées à la résolution de conflits et à la négociation, pourrait soutenir la manifestation de comportements mieux adaptés en classe. De plus, le fait d’enseigner explicitement du vocabulaire commun et littéraire, comme celui concernant les émotions, pourrait diminuer les comportements inadaptés, ce qui augmenterait le temps dédié aux activités pédagogiques et réduirait celui consacré à la gestion des comportements difficiles[6]. Aussi, les échanges communicationnels offrent du modelage aux élèves quand l’enseignant reformule correctement les énoncés erronés de ceux-ci ou encore quand il ajoute de l’information à la production initiale de l’enfant afin de lui enseigner des phrases ou des mots plus complexes. Puis, l’étayage, une stratégie largement répandue en éducation par laquelle l’adulte soutient et guide graduellement l’enfant dans ses apprentissages en tenant compte de ses capacités personnelles, permet également de stimuler le langage. Ces stratégies s’implantent aisément et rapidement en classe. Enfin, la collaboration avec des professionnels experts de la communication tels que les orthophonistes s’avère aussi une piste à exploiter[7].

L’œuf ou la poule ?

Plusieurs hypothèses explicatives sont soulevées au sujet des relations entre le développement de la communication et le comportement. Notamment, une simple comorbidité* pourrait expliquer la présence de difficultés comportementales et communicationnelles chez un enfant[8]. Toutefois, le fait que la prévalence des difficultés langagières identifiées chez les enfants présentant un trouble du comportement s’élèverait à 71 % semble aller à l’encontre de cette première hypothèse[9].

Les difficultés langagières pourraient entraîner le développement de difficultés comportementales et interpersonnelles, en raison de l’accumulation d’échecs sur le plan de la communication[10]. Ainsi, un enfant ayant de la difficulté à exprimer ses frustrations verbalement pourrait le faire par des comportements agressifs.

Inversement, certains estiment que les difficultés comportementales, parce qu’elles rendraient les enfants moins intéressants comme partenaires de jeux, pourraient limiter leurs interactions sociales. Ces enfants, possiblement rejetés en raison de leurs comportements inappropriés, auraient moins d’occasions d’échanger avec d’autres, ce qui contribuerait au développement de difficultés de communication[11].

Cependant, sur le plan développemental, la probabilité est plus grande que des facteurs communs sous-jacents favorisent l’émergence d’atteintes sur les deux plans. Parmi ceux-ci, le fonctionnement neuropsychologique*, les conditions socioéconomiques et les pratiques éducatives influenceraient l’apparition, le maintien et l’aggravation des deux problématiques au cours de la vie d’un individu[12].

Langage et comportements difficiles

Certaines études ont recensé la prévalence des difficultés langagières chez les enfants présentant des difficultés de comportement. Alexandra Hollo, Joseph H. Wehby et Regina M. Oliver, trois chercheurs s’intéressant à ce sujet, soutiennent que 81 % des enfants présentant un trouble du comportement auraient des atteintes langagières non identifiées. Cet « angle mort » pourrait nuire au développement d’interventions efficaces auprès de cette population[13].

Quant aux chercheuses Céline Van Schendel, Marie-Anne Schelstraete et Isabelle Roskam, elles estiment que les enfants ayant des difficultés comportementales peuvent présenter des difficultés sur les plans de la compréhension et de l’expression du langage oral[14]. Plus précisément, leur étude semble indiquer que les atteintes touchent différentes sphères langagières, telles que la phonologie* et la morphosyntaxe*. De plus, les habiletés lexicales et sémantiques, qui sont notamment liées au vocabulaire exprimé et compris, sont parfois déficitaires chez ces enfants, selon ces chercheuses[15].

Cependant, les habiletés pragmatiques constitueraient les habiletés communicationnelles les plus reliées aux difficultés comportementales. Au-delà des « sons », de la « grammaire » et du « vocabulaire » qui forment le langage, les habiletés pragmatiques permettent d’ajuster son langage aux différents contextes de communication (p. ex., tenir compte de la familiarité de l’interlocuteur ou de ses connaissances sur le sujet abordé). La pragmatique inclut des habiletés telles que la communication non verbale, les habiletés conversationnelles, discursives et narratives, les caractéristiques et la fluidité de la parole, comme l’intonation ou le débit, ou encore, l’adaptation du langage à son interlocuteur ou au contexte culturel[16]. Par exemple, un enfant comprendra qu’il ne peut s’adresser à un adulte comme il s’adresse à un pair, ou il produira une demande polie dans le but d’être accepté par ses pairs lorsqu’il souhaite s’introduire dans un jeu. Il pourra aussi mieux interagir avec les autres s’il comprend le sarcasme ou les expressions figurées.

Toutefois, les enfants présentant des difficultés de comportement auraient moins d’occasions de développer leur communication, particulièrement sur le plan pragmatique, car ils seraient des partenaires de jeux moins prisés étant donné les difficultés qu’ils vivent dans leurs interactions sociales[17]. Certains chercheurs estiment que des difficultés pragmatiques pourraient être faussement interprétées comme des difficultés de comportement[18].

La communication sociale 

La communication sociale résulte de l’association des habiletés d’interactions sociales, langagières, pragmatiques et de la cognition sociale[19]. S’intéresser à celle-ci pourrait permettre de planifier des interventions répondant mieux aux besoins des enfants présentant des difficultés de comportement. Les interactions sociales et la cognition sociale sont reconnues comme des composantes déficitaires chez ces enfants, et elles sont souvent travaillées avec eux, à l’aide de jeux de rôle ou à travers la lecture d’histoires, notamment[20]. La cognition sociale, qui permet de considérer le point de vue des autres et d’interpréter leurs actions à la lumière de celui-ci, a été reliée à la capacité à réguler ses émotions et à certains comportements inadaptés, comme les conduites agressives. Elle est donc souvent intégrée aux programmes d’intervention destinés aux enfants ayant des difficultés comportementales[21]. Bien que leurs liens avec le comportement semblent importants, les deux autres composantes, soit les habiletés langagières et pragmatiques, sont rarement abordées dans ces programmes. Puisque la communication sociale apparaît essentielle au bien-être et à l’intégration sociale des individus, toutes ses composantes gagneraient à être développées au sein des interventions proposées[22].

Somme toute, les chercheurs suggèrent que plusieurs liens unissent la communication sociale et le comportement chez l’enfant. Cependant, la recherche actuelle s’est peu intéressée aux effets des interventions en communication sociale, particulièrement sur le plan des habiletés pragmatiques et langagières, sur le comportement des enfants en milieu scolaire. Actuellement, alors que la santé mentale des jeunes préoccupe la société, le milieu scolaire peut jouer un rôle clé en favorisant le développement harmonieux et optimal de tout un chacun.

Lexique :

Comorbidité : présence de plusieurs difficultés chez un même individu sans nécessairement de liens apparents entre elles.

Fonctionnement neuropsychologique : fonctions cognitives d’un individu, incluant notamment la mémoire, l’attention, les fonctions exécutives (p. ex., les capacités d’organisation et de planification) et le langage.

Habiletés socioémotionnelles : capacités permettant la gestion des émotions et soutenant la création de relations interpersonnelles harmonieuses.

Morphosyntaxe : règles régissant la formation des mots et des phrases dans une langue donnée.

Phonologie : règles régissant l’organisation des sons d’une langue donnée.

Stratégies cognitivo-comportementales : habiletés permettant de reconnaître, d’analyser et de modifier ses pensées, ses réactions et ses croyances dans le but de créer un changement sur le plan du comportement.

 

Références

[1] Massé, L., Desbiens, N. et Lanaris, C. (2020). Les troubles du comportement à l’école : prévention, évaluation et intervention (3e éd.). Chenelière Éducation.

[2] Massé, L., Potvin, P. et Couture, C. (2012). Formation continue pour le personnel enseignant : comparaison de différentes modalités de soutien et d’accompagnement pour favoriser l’intégration scolaire des élèves présentant des troubles du comportement (rapport de recherche intégral – Programme actions concertées). Fonds de recherche Société et culture Québec. http://www.frqsc.gouv.qc.ca/documents/11326/449044/PT_MasséL_rapport+2014_formation+continue+enseignants/81fbf7da-5012-4f83-adbc-e251e29ec59a

[3] Battagliese, G., Caccetta, M., Luppino, O. I., Baglioni, C., Cardi, V., Mancini, F. et Buonanno, C. (2015). Cognitive-behavioral therapy for externalizing disorders: A meta-analysis of treatment effectiveness. Behaviour Research and Therapy, 75, 60-71. https://doi.org/10.1016/j.brat.2015.10.008

[4] Hollo, A., Wehby, J. H. et Oliver, R. M. (2014). Unidentified language deficits in children with emotional and behavioral disorders: A meta-analysis. Exceptional Children, 80(2), 169-186. https://doi.org/10.1177/001440291408000203

[5] Hollo, A., Chow, J. C. et Wehby, J. H. (2019). Profiles of language and behavior in students with emotional disturbance. Behavioral Disorders, 44(4), 195-204. https://doi.org/10.1177/0198742918804803

[6] Chow, J. C. et Wehby, J. H. (2018). Associations between language and problem behavior: A systematic review and correlational meta-analysis. Educational Psychology Review, 30, 61-82. https://doi.org/10.1007/s10648-016-9385-z

[7] Chow, J. C., Walters, S. et Hollo, A. (2020). Supporting students with co-occurring language and behavioral deficits in the classroom. TEACHING Exceptional Children, 52(4), 222-230. https://doi.org/10.1177/0040059919887760

[8] Roskam, I., Stiévenart, M., Meunier, J.-C., Van de Moortele, G., Kinoo, P. et Nassogne, M.-C. (2010). How do parents, teachers and clinicians assess young children’s externalizing behaviour? Variation in their assessment and its impact on children’s development. Pratiques psychologiques, 16, 389-401.

[9] Benner, G. J., Nelson, J. R. et Epstein, M. H. (2002). Language skills of children with EBD: A literature review. Journal of Emotional and Behavioral Disorders, 10(1), 43-56.

[10] Petersen, I. T., Bates, J. E., D’Onofrio, B. M., Coyne, C. A., Lansford, J. E., Dodge, K. A., Pettit, G. S. et Van Hulle, C. A. (2013). Language ability predicts the development of behavior problems in children. Journal of Abnormal Psychology, 122(2), 542-557. https://doi.org/10.1037/a0031963

Van Schendel, C., Schelstraete, M.-A. et Roskam, I. (2013). Développement langagier et troubles externalisés du comportement en période préscolaire : quelles relations ? L’Année psychologique, 3(113), 375-426. https://doi.org/10.4074/S0003503313003047

[11] Van Schendel et al., op. cit.

[12] Ibid.

[13] Hollo et al. (2019), op. cit.

[14] Van Schendel et al., op. cit.

[15] Ibid.

[16] Russell, R. L. et Grizzle, K. L. (2008). Assessing child and adolescent pragmatic language competencies: Toward evidence-based assessments. Clinical Child and Family Psychology Review, 11(1/2), 59-73. https://doi.org/10.1007/s10567-008-0032-1

[17] Benner et al., op. cit.

[18] Hughes, C. et Lecce, S. (2010). Cognition sociale précoce. Dans R. E. Tremblay, M. Boivin et R. DeV. Peters (dir.), Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants. http://www.enfant-encyclopedie.com/cognition-sociale/selon-experts/cognition-sociale-precoce

[19] Adams, C. (2015). Assessment and intervention for children with pragmatic language impairment. Dans D. A. Hwa-Froelich (dir.), Social communication development and disorders (p. 141-170). Psychology Press.

[20] Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. (2015). Cadre de référence et guide à l’intention du milieu scolaire. L’intervention auprès des élèves ayant des difficultés de comportement. Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/adaptation-scolaire-services-comp/14_00479_cadre_intervention_eleves_difficultes_comportement.pdf

[21] Bertoux, M. (2016). Cognition sociale. EMC-Neurologie, 0 (0), 1-7.

Yeates, K. O., Bigler, E. D., Dennis, M., Gerhardt, C. A., Rubin, K. H., Stancin, T., Taylor, H. G. et Vannatta, K. (2007). Social outcomes in childhood brain disorder: A heuristic integration of social neuroscience and developmental psychology. Psychological Bulletin, 133(3), 535-556. https://doi.org/10.1037/0033-2909.133.3.535

[22] Hughes et Lecce, op. cit.

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