SOCIÉTÉ — Les cultures s’invitent en classe

Mathieu Caron Diotte et Gabrielle Joli-Coeur — Programmes de doctorat en psychologie et maîtrise en didactique

SOCIÉTÉ — Les cultures s’invitent en classe

Pour un grand nombre d’élèves issus de l’immigration, évoluer dans le système scolaire québécois peut représenter tout un défi. Puisqu’ils sont élevés dans une culture différente de la culture québécoise, ces élèves n’ont souvent pas les connaissances préalables requises afin de bien performer à l’école. De nombreuses recherches indiquent que la prise en compte de la culture des élèves dans l’enseignement est associée à des effets positifs. En effet, un enseignement qui intègre des éléments de la culture des élèves issus de l’immigration donne à ces derniers l’occasion de mieux comprendre ce qui est enseigné et d’être plus motivés.

Récemment arrivé d’Égypte, Naël fréquente une classe de deuxième année du primaire dans une école montréalaise. Il n’est pas motivé à aller à l’école, il peine à obtenir la note de passage et ne se sent pas concerné par les apprentissages réalisés en classe. Son enseignante remarque ses difficultés, mais ne sait que faire pour le soutenir. Sa collègue lui suggère d’intégrer dans son enseignement des références au pays natal du jeune garçon pour le motiver. L’enseignante décide donc de lire en classe un livre dont l’action se déroule au Caire, la capitale égyptienne. Dès qu’elle commence l’activité, les yeux de Naël se mettent à briller de mille feux, comme ils ne l’ont jamais fait auparavant. Il participe activement aux discussions et explique avec joie à ses camarades plusieurs aspects de la vie quotidienne en Égypte. Bien des élèves issus de l’immigration comme Naël éprouvent des difficultés à l’école qui sont dues à la disparité entre leur culture et celle qui domine dans leur pays d’accueil.

Le prisme culturel

La culture est comme un prisme (ou une paire de lunettes) au travers duquel la personne voit le monde et le comprend. Les immigrants arrivent ainsi dans leur nouveau pays avec leur bagage culturel, composé entre autres des objets matériels, traits, comportements, valeurs, traditions et croyances qui sont typiques de leur pays d’origine[1]. Puisqu’elle touche un large éventail de sujets, la culture est omniprésente dans les situations de la vie quotidienne. Et parce que toute culture est fortement transmise par l’environnement familial, les élèves issus de l’immigration peuvent ne pas en savoir beaucoup sur la culture québécoise et sur ce que les autres Québécois trouvent « normal ».

À la suite de leur entrée dans le système scolaire québécois, les élèves issus de l’immigration se retrouvent dans une réalité quotidienne qui peut être radicalement différente de celle à laquelle ils ont jusqu’alors été exposés. Ces élèves peuvent devoir en apprendre notamment sur les activités typiques (p. ex., aller cueillir des pommes, jouer au hockey), les symboles (p. ex., la poutine, le sirop d’érable) et les traditions du Québec. Puisque l’apprentissage d’une culture demande du temps, naviguer dans l’école québécoise peut être complexe pour plusieurs d’entre eux[2]. En outre, ces élèves peuvent éprouver des difficultés de compréhension à l’école, car ils n’y reconnaissent pas les éléments familiers de leur culture d’origine.

En l’occurrence, le ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche indique qu’un faible accommodement aux différentes cultures à l’école contribue aux difficultés scolaires[3]. Le manque de connaissances culturelles place les élèves issus de l’immigration en situation de désavantage par rapport à leurs pairs, puisqu’ils doivent mettre plus d’efforts pour obtenir des résultats semblables[4]. Autrement dit, ils n’ont pas les mêmes chances de réussite. Face à de telles situations, ces élèves risquent de vivre de l’anxiété et de la dévalorisation[5].

Des référents familiers

L’enseignement culturellement pertinent, dans lequel la planification des activités d’enseignement prend en compte la culture des élèves, est recommandé par les chercheurs en éducation afin d’aider les élèves issus de l’immigration[6]. Il consiste pour les enseignants à intégrer à l’enseignement des référents culturels des élèves afin de prodiguer une éducation de qualité[7]. Lorsque les élèves sont exposés à des activités scolaires mettant en scène des éléments de leur culture, ils peuvent établir des liens entre ce qui leur est déjà connu et ce qui est à apprendre. Leur apprentissage s’en retrouve ainsi favorisé.

Dans son livre publié en 1994, la professeure de l’Université du Wisconsin Gloria Ladson-Billings expose les pratiques d’enseignants dont les étudiants issus de minorités culturelles performent bien à l’école[8]. La chercheure souhaitait déterminer les méthodes utilisées par ces enseignants pour assurer la réussite de leurs élèves. Ses résultats, et ceux de plusieurs études par la suite[9], indiquent que ces enseignants utilisent des éléments issus de la culture des élèves afin de leur donner envie d’apprendre, par exemple en remplaçant les œuvres traditionnellement lues et enseignées par des œuvres issues de leur culture. En somme, les recherches en éducation ont montré que les élèves performent mieux et s’impliquent davantage à l’école s’ils retrouvent leur culture dans l’enseignement.

Les enseignants issus de l’immigration jouent aussi un rôle déterminant dans la scolarité des élèves. À ce sujet, la professeure Aline Niyubahwe de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue a récemment passé en revue l’ensemble des recherches portant sur les effets qu’ont les enseignants issus de l’immigration[10]. Les recherches recensées par la professeure Niyubahwe indiquent que ces enseignants contribuent à la réussite scolaire et à l’intégration de leurs élèves. Précisément, les enseignants immigrants agissent en tant que modèles. Ils sont une preuve vivante de réussite pour les élèves. De plus, ils motivent leurs élèves à performer à l’école, notamment en leur offrant un enseignement culturellement pertinent. Les enseignants issus de l’immigration sont plus sensibles aux défis de ces élèves puisqu’ils les ont souvent eux-mêmes vécus, ce qui les pousse à adopter ce style d’enseignement. Ainsi, les élèves issus de l’immigration semblent grandement bénéficier d’être exposés à des référents culturels qui leur sont familiers par l’entremise de leurs enseignants. 

La conjugaison des cultures

Tout au long de leur apprentissage de la culture québécoise, les élèves issus de l’immigration ont à choisir ce qu’ils souhaitent faire avec leurs multiples cultures. Selon leur disposition à conserver ou non leur culture d’origine et à adopter ou non la culture de la société d’accueil[11], les personnes immigrantes peuvent user de différentes stratégies, qui seraient au nombre de quatre selon le professeur de psychologie à l’Université Queen’s John W. Berry[12]. La stratégie de la marginalisation renvoie à la décision de se dissocier de toute culture. Les élèves usent de la stratégie de séparation s’ils choisissent de se définir que par la culture de leur pays d’origine. En revanche, l’assimilation fait référence à la situation dans laquelle les élèves abandonnent leur culture d’origine au profit de la culture dominante du pays de résidence. Lorsque les élèves conservent leur culture tout en embrassant celle de leur pays d’accueil, par exemple en gardant leurs coutumes tout en adoptant celles du Québec, ils ont recours à une stratégie d’intégration.

Les apprentissages des élèves privilégiant la stratégie d’intégration se retrouvent favorisés. Par exemple, des études effectuées aux États-Unis et en Palestine auprès d’élèves issus de minorités culturelles ont montré que les élèves qui conservent leur culture d’origine tout en adoptant la culture dominante ont de meilleurs résultats à l’école[13] et sont plus persévérants dans les tâches scolaires comme la résolution de problèmes mathématiques[14]. Cependant, en 2018, les résultats d’une étude allemande effectuée auprès de 3 894 adolescents immigrants de première et seconde génération laissent penser que l’influence de la stratégie d’intégration est limitée dans les contextes où la société d’accueil fait la promotion d’une politique d’assimilation[15]. En effet, parmi les élèves ayant participé à l’étude (qui habitaient tous en Allemagne, où une politique assimilationniste est appliquée), ceux qui ont choisi l’intégration présentaient des résultats scolaires semblables à ceux des élèves n’ayant pas choisi cette stratégie. Les résultats de plusieurs recherches indiquent donc que les élèves peuvent retirer des bénéfices de la conjugaison de leur culture et de celle de leur nouveau pays.

Une question d’intégration

La politique éducative adoptée en 1998 par le ministère de l’Éducation du Québec stipule que l’école doit agir en tant que vecteur d’intégration des immigrants dans la société québécoise[16]. Pour que ce but soit atteint, les recherches révèlent que les élèves issus de l’immigration doivent être exposés à leur culture d’origine. En ayant l’occasion d’être exposés à leur propre culture pendant leur scolarisation, les élèves sont plus à même de comprendre les notions à apprendre et d’être motivés dans leur apprentissage.

Pour former les prochaines générations, l’école québécoise pourrait intégrer à son programme les référents culturels des élèves de multiples horizons tout en les aidant à naviguer dans les us et coutumes de leur nouveau pays. Depuis qu’elle a observé Naël sortir de sa coquille lors de l’activité de lecture d’un livre sur l’Égypte, son enseignante a répété l’expérience. Elle a obtenu une réponse positive de la part des élèves, particulièrement lorsque leur culture est représentée dans les livres. Comme ses élèves sont plus réceptifs, l’enseignante peut plus aisément leur apprendre les notions importantes de deuxième année, et partager avec eux sa propre culture.

 

Références

[1] Sussman, N. M. (2000). The dynamic nature of cultural identity throughout cultural transitions: Why home is not so sweet. Personality and Social Psychology Review, 4(4), 355-373. https://doi.org/10.1207/S15327957PSPR0404_5

Ministère de l’Éducation. (2003). La culture, toute une école ! L’intégration de la dimension culturelle à l’école. Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/formation_jeunes/IntegrationDimensionCulturelleEcole_DocRefPersEns.pdf

[2] McAndrew, M., Balde, A., Bakhshaei, M., Tardif-Grenier, K., Audet, G., Armand, F., Guyon, S., Ledent, J., Lemieux, G., Potvin, M., Rahm, I., Vatz Laarousi, M., Carpentier, A. et Rousseau, C. (2015). La réussite éducative des élèves issus de l’immigration. Dix ans de recherche et d’intervention au Québec. Les Presses de l’Université de Montréal.

[3] Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. (2015). Cadre de référence et guide à l’intention du milieu scolaire. L’intervention auprès des élèves ayant des difficultés de comportement. Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/adaptation-scolaire-services-comp/14_00479_cadre_intervention_eleves_difficultes_comportement.pdf

[4] Armand, F. (2013). Former les futurs enseignants à œuvrer en contextes de diversité : une priorité au Québec. Québec français, 168, 83-85.

[5] Hill, N. E. (2006). Disentangling ethnicity, socioeconomic status and parenting: Interactions, influences and meaning. Vulnerable Children and Youth Studies, 1(1), 114-124. https://doi.org/10.1080/17450120600659069

[6] Banks, J. A. (2015). Cultural diversity and education: Foundations, curriculum, and teaching (6e éd.). Routledge. https://doi.org/10.4324/9781315622255

[7] Ibid.

[8] Ladson-Billings, G. (1994). The Dreamkeepers: Successful teachers of African American children. Jossey-Bass.

Ladson-Billings, G. (1995). Toward a theory of culturally relevant pedagogy. American Educational Research Journal,32(3), 465-491. https://doi.org/10.2307/1163320

[9] Ladson-Billings, G. (2014). Culturally relevant pedagogy 2.0: a.k.a. the remix. Harvard Educational Review, 84(1), 74-84. https://doi.org/10.17763/haer.84.1.p2rj131485484751

[10] Niyubahwe, A., Mukamurera, J. et Jutras, F. (2019). Rôles et contributions des enseignants issus de l’immigration dans l’intégration scolaire des élèves issus de l’immigration. Revue canadienne de l’éducation, 42(2), 438-463.

[11] Kanouté, F. (2002). Profils d’acculturation d’élèves issus de l’immigration récente à Montréal. Revue des sciences de l’éducation, 28(1), 171-190. https://doi.org/10.7202/007154ar

[12] Berry, J. W. et Hou, F. (2016). Immigrant acculturation and wellbeing in Canada. Psychologie canadienne, 57(4), 254-264. https://doi.org/10.1037/cap0000064

[13] Altschul, I., Oyserman, D. et Bybee, D. (2008). Racial-ethnic self-schemas and segmented assimilation: Identity and the academic achievement of Hispanic youth. Social Psychology Quarterly, 71(3), 302-320.https://doi.org/10.1177/019027250807100309

[14] Oyserman, D., Kemmelmeier, M., Fryberg, S., Brosh, H. et Hart-Johnson, T. (2003). Racial-ethnic self-schemas. Social Psychology Quarterly, 66(4), 333. https://doi.org/10.2307/1519833

[15] Schotte, K., Stanat, P. et Edele, A. (2018). Is integration always most adaptive? The role of cultural identity in academic achievement and in psychological adaptation of immigrant students in Germany. Journal of Youth and Adolescence, 47(1), 16-37. https://doi.org/10.1007/s10964-017-0737-x

[16] Ministère de l’Éducation du Québec. (1998). Une école d’avenir. Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Gouvernement du Québec.

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