SANTÉ — La force du groupe en physiothérapie

Mélanie Le Berre — Programme de doctorat en sciences de la réadaptation

SANTÉ — La force du groupe en physiothérapie

Les personnes qui suivent leur traitement de physiothérapie en groupe bénéficient de plusieurs avantages en lien avec ce format, qui pourrait notamment leur permettre de mieux adhérer aux programmes d’exercices prescrits par le ou la physiothérapeute. De plus, grâce à la récente émergence des soins offerts à distance, des interventions reliant les avantages du format de groupe à ceux de la technologie pourraient désormais voir le jour et offrir de nouvelles possibilités en santé à travers la province.

Offrir des traitements à des groupes plutôt qu’à des individus figure sur la liste des stratégies possibles pour tenter de réduire les listes d’attente de divers services de santé depuis plusieurs années. Néanmoins, encore peu de programmes sont offerts au Québec pour le moment. Pourtant, les bénéfices du format de groupe dépassent largement les considérations uniquement administratives.

En effet, la recherche a répertorié différents avantages associés au format de groupe dans le domaine de la santé. Plus spécifiquement, plusieurs interventions de physiothérapie ont tenté de tirer parti des bienfaits d’être en groupe afin d’optimiser leurs effets cliniques [1].

Les avantages du groupe

La physiothérapie est un service de santé qui vise à retrouver ou à maintenir ses capacités physiques, pour favoriser l’autonomie dans la vie quotidienne, au travail, dans les loisirs et le sport. En fonction des différentes conditions et des potentiels de récupération, elle favorise ainsi une vie personnelle et sociale épanouie. En physiothérapie, l’adhérence aux programmes d’exercices prescrits représente généralement la clé du succès dans l’amélioration des symptômes [2]. L’adhérence est également au cœur du maintien des effets du traitement à long terme [3]. Elle est l’un des principaux avantages d’offrir des interventions de physiothérapie à des groupes plutôt qu’à un seul individu à la fois, puisque le groupe influence positivement l’adhérence. Les personnes composant un groupe de traitement ont le plus souvent une condition de santé commune, ou du moins des objectifs de santé communs. Elles se retrouvent généralement à intervalles réguliers pour recevoir de l’information en lien avec leur condition et leur traitement, et pour réaliser leurs exercices [4].

Grâce aux encouragements du groupe et au développement d’un esprit de saine compétition, les patientes et les patients trouvent le soutien nécessaire pour faire leurs exercices plus assidûment [5]. De plus, les témoignages apparaissent plus crédibles et plus pertinents lorsqu’ils proviennent de personnes aux profils similaires, avec des vécus relativement proches [6]. Ces partages d’expériences entre les membres du groupe renforcent alors l’adhérence aux exercices en les rassurant quant aux résultats des efforts investis. Des témoignages positifs démontrent que la pratique des exercices a bel et bien les effets souhaités sur les symptômes visés. En intégrant ainsi les succès de leurs paires et leurs pairs, les autres membres du groupe augmentent alors leur confiance en leur capacité à gérer elles-mêmes et eux-mêmes leurs symptômes à l’aide des exercices. Cette confiance, nommée « autoefficacité », constitue un élément déterminant de la motivation [7]. Dans une perspective à plus long terme, le sentiment d’appartenance à un groupe est aussi synonyme de maintien d’un comportement dans le temps [8]. Les individus en viennent notamment à se sentir redevables face aux autres membres du groupe par rapport à leurs exercices et développent une identité de groupe qui inclut la pratique de ceux-ci [9].

Le groupe peut également jouer un rôle de soutien et de réconfort, particulièrement dans le cas de conditions de santé plus taboues. La validation par les membres du groupe et la normalisation de leurs expériences permettent non seulement de renforcer leur estime personnelle, mais aussi leur autoefficacité et donc leur motivation [10]. Parallèlement, les membres du groupe peuvent éprouver de l’empathie pour d’autres personnes proches de leur réalité et ainsi cultiver plus aisément la compassion envers eux-mêmes par la suite [11]. Pour certains sous-groupes de la population dans lesquels l’exercice physique est moins pratiqué de façon générale, notamment chez les personnes âgées ou les personnes en surpoids, ou encore chez les personnes survivantes de cancer, la formation d’un nouveau réseau de soutien avec des objectifs communs permet ainsi d’aller chercher les encouragements nécessaires pour une pratique régulière d’exercices. Ces groupes spécifiques offrent alors l’avantage supplémentaire d’un environnement plus accueillant et plus sécuritaire [12].

Être en groupe à distance

À la suite d’une période prolongée de distanciation physique, une portion des soins de physiothérapie pouvant être assurés à distance le sont toujours présentement [13]. Certaines conditions de santé exigent une grande part d’éducation pour permettre de gérer adéquatement les symptômes [14], en particulier les conditions chroniques telles que l’incontinence urinaire ou l’arthrite. Ces enseignements peuvent aisément être offerts par visioconférence. De plus, certains exercices, qui n’impliquent pas de risque de chute ou de blessure, ni de matériel d’entraînement spécialisé, peuvent également être enseignés et expliqués en ligne, avec une supervision à distance [15]. Cette approche de télésanté permet de faire face à la pénurie de personnel qui touche tout particulièrement les régions éloignées. Ces traitements à distance peuvent également être offerts à des groupes. Au sentiment de faire partie d’un groupe s’ajoute alors le confort d’être chez soi, possiblement entouré de ses proches [16]. L’aisance qui en découle, reliée au fait de se retrouver dans un environnement familier, peut alors contribuer à détendre l’atmosphère lors des séances. Elle pourrait même favoriser des interactions plus ouvertes et plus décontractées que dans un cadre plus formel, comme celui retrouvé en clinique [17]. Les membres du groupe partagent en effet une parcelle de leur intimité avec les autres, tout en étant dans leur milieu de vie. Les équipes cliniques ont souligné la gestion du temps comme étant un atout intéressant pour les groupes en ligne. Plusieurs professionnelles et professionnels de la santé étaient ainsi plus à l’aise de recadrer la conversation au sein du groupe et de regagner l’attention des personnes par téléconférence qu’en personne, grâce aux fonctions offertes par la plateforme utilisée [18].

Néanmoins, une inquiétude est communément exprimée quant aux soins offerts à distance, à la fois par les patientes et patients et les physiothérapeutes, soit la plus grande difficulté à ressentir la connexion humaine. Ce constat est d’autant plus vrai auprès de la clientèle plus âgée, laquelle est encore généralement moins exposée à la technologie. En effet, le magazine Protégez-Vous rapportait en 2021 que, bien que l’utilisation d’appareils intelligents augmente considérablement d’année en année, seulement 55 % des personnes de 65 ans et plus en possédaient un au Québec. Ce défi technologique pourrait alors compromettre l’un des avantages principaux du format de groupe. Certaines équipes cliniques ont également émis des réserves, disant que la facilité d’accès aux soins, en un simple clic au lieu d’avoir à se rendre sur place, pouvait en fait favoriser le désengagement [19], ce qui aurait pour effet de diminuer l’adhérence aux exercices. Plusieurs personnes concernées ont également soulevé des enjeux de communication reliés au traitement à distance. En télésanté, les professionnelles et professionnels pourraient en effet avoir à déployer de nouvelles compétences pour obtenir le même niveau de compréhension et prêter davantage attention pour décoder le non-verbal [20]. Le nombre de personnes à superviser au sein du groupe pourrait accroître ces difficultés. Certaines observations se veulent néanmoins rassurantes : l’aisance avec la technologie et la communication à distance dans un contexte de physiothérapie viennent avec l’usage [21]. Et en raison de la récente pandémie, beaucoup, même parmi les personnes les plus âgées, ont fait un usage accru de la technologie.

De solides données

Les interventions de physiothérapie en groupe ont déjà fait leurs preuves à de multiples reprises sur le plan clinique, pour des clientèles diversifiées ayant des objectifs de santé bien différents. Elles seraient ainsi efficaces pour mener à une augmentation de la fonction cardiorespiratoire et de la capacité physique auprès des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque [22], à une amélioration de l’équilibre auprès des personnes atteintes de la maladie de Parkinson [23] ou encore à une diminution des symptômes à la suite d’un traumatisme crânien [24]. Certaines de ces interventions ont été comparées au traitement usuel, soit les soins offerts de façon individuelle. Les interventions de physiothérapie en groupe seraient ainsi tout aussi efficaces sur le plan clinique que les interventions individuelles pour le traitement des maux de dos [25] ou d’autres conditions musculo-squelettiques chez les adultes [26], pour l’augmentation de l’activité physique auprès des personnes âgées [27] et des personnes ayant survécu à un cancer [28] ou encore pour le traitement de l’incontinence urinaire auprès des femmes âgées [29]. Offrir un traitement de physiothérapie à plusieurs personnes à la fois n’en diluerait donc pas l’efficacité et ne convertirait pas le traitement en un simple groupe de soutien : les objectifs cliniques initialement ciblés par le traitement demeureraient atteints.

Les études portant sur les interventions de groupe en physiothérapie démontrent également les avantages financiers d’adopter de telles approches, tant pour le réseau de la santé que pour les patientes et patients [30]. C’est un format qui favorise en effet des économies d’échelle en permettant à plus d’une personne à la fois de bénéficier d’une même heure de soins fournie par un ou une physiothérapeute. Les économies associées au format de groupe vont également au-delà des salaires versés aux professionnelles et professionnels de la santé. Elles comprennent ainsi notamment les frais reliés aux locaux et au matériel utilisés, qui peuvent désormais être répartis à travers d’autres activités de soins.

À cause de la pénurie de personnel qui touche présentement le système de santé québécois, les interventions de groupe apparaissent ainsi comme une solution prometteuse, permettant de répondre à plusieurs enjeux à la fois. Peu d’innovations peuvent se targuer de viser du même souffle une diminution des coûts et une réduction des listes d’attente, tout en assurant des soins de qualité, avec possiblement certains avantages psychosociaux supplémentaires. Grâce au sentiment de sécurité nouvellement retrouvé en ce qui a trait aux rassemblements, et à l’ouverture nouvellement acquise aux soins à distance, les Québécoises et les Québécois sont peut-être maintenant prêts à accueillir ces nouveaux formats dans leurs soins de physiothérapie. Des projets d’implantation se dessinent à l’horizon et mettront à l’épreuve ces interventions avec des groupes en personne ou des groupes virtuels, au sein de divers établissements de santé de la province au cours des prochaines années.



Références 

[1] Yang, J. H., Wang, Y. Q., Ye, S. Q, Cheng, Y. G., Chen, Y. et Feng X. Z. (2017). The effects of group-based versus individual-based tai chi training on nonmotor symptoms in patients with mild to moderate Parkinson’s disease: A randomized controlled pilot trial. Parkinson’s Disease. https://doi.org/10.1155/2017/8562867

[2] Bayat, M., Eshraghi, N., Naeiji, Z. et Fathi, M. (2020). Evaluation of awareness, adherence, and barriers of pelvic floor muscle training in pregnant women: A cross-sectional study. Female Pelvic Medicine & Reconstructive Surgery, 27(1), e122-e126. https://doi.org/10.1097/SPV.0000000000000852

[3] Bø, K. et Talseth, T. (1996). Long-term effect of pelvic floor muscle exercise 5 years after cessation of organized training. Obstetrics & Gynecology, 87(2), 261-265. https://doi.org/10.1016/0029-7844(95)60375-1

[4] Dumoulin, C., Morin, M., Danieli, C., Cacciari, L., Mayrand, M.-H., Tousignant, M. et Abrahamowicz, M. pour l’Urinary Incontinence and Aging Study Group. (2020). Group-based vs individual pelvic floor muscle training to treat urinary incontinence in older women: a randomized clinical trial. JAMA Internal Medicine, 180(10), 1284-1293. https://doi.org/10.1001/jamainternmed.2020.2993

[5] Yang et al., op. cit.

[6] Kwasnicka, D., Dombrowski, S. U., White, M., et Sniehotta, F. (2016). Theoretical explanations for maintenance of behaviour change: A systematic review of behaviour theories. Health Psychology Review, 10(3), 277-296. https://doi.org/10.1080/17437199.2016.1151372

[7] Luszczynska, A. et Schwarzer, R. (2020). Changing behavior using social cognitive theory. Dans K. Hamilton, L. D. Cameron, M. S. Hagger, N. Hankonen, et T. Lintunen (dir.), The Handbook of Behavior Change, p. 32-45. Cambridge University Press.

[8] Kwasnicka et al., op. cit.

[9] Borek, A. J., Abraham, C., Greaves, C. J., et Tarrant, M. (2018). Group‐based diet and physical activity weight‐loss interventions: A systematic review and meta‐analysis of randomised controlled trials. Applied Psychology: Health and Well‐Being, 10(1), 62-86. https://doi.org/10.1111/aphw.12121

[10] Ibid.

[11] Ruella, Y., Saint-Onge, K., Fraser, S., Southall, K., Fréchette-Chaîné, É., Morin, M. et Dumoulin, C. (2017). Peer support: Does it hold the key to decreasing self-stigma and improving self-management in older women with urinary incontinence? Article présenté au congrès de l’International Continence Society (ICS). https://www.ics.org/Abstracts/Publish/349/000500.pdf

[12] Emslie, C., Whyte, F., Campbell, A., Mutrie, N., Lee, L., Ritchie, D., et Kearney, N. (2007). ‘I wouldn’t have been interested in just sitting round a table talking about cancer’; Exploring the experiences of women with breast cancer in a group exercise trial. Health Education Research, 22(6), 827-838. https://doi.org/10.1093/her/cyl159
Groven, K. S., Råheim, M., et Engelsrud, G. (2015). Changing bodies, changing habits: Women’s experiences of interval training following gastric bypass surgery. Health Care for Women International, 36(3), 276-302. https://doi.org/10.1080/07399332.2013.794465

[13] Drouin, C.-É. (2022). Projet pilote de téléréadaptation en physiothérapie en Basse-Côte-Nord. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1886541/physiotherapie-readaptation-videoconference-basse-cote-nord

[14] Jobin, J. (2020). Les physiothérapeutes adaptent leur pratique pendant la COVID-19. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1688527/physiotherapie-readaptation-technique-videoconference-covid19

[15] Le Berre, M., Filiatrault, J., Reichetzer, B. et Dumoulin, C. (2022). Is online group-based pelvic floor muscle training feasible for older women with urinary incontinence? Présenté au 52e congrès annuel de l’ICS, Vienne, Autriche. https://www.ics.org/2022/abstract/237

[16] Hwang, R., Mandrusiak, A., Morris, N. R., Peters, R., Korczyk, D., Bruning, J., et Russell, T. (2017). Exploring patient experiences and perspectives of a heart failure telerehabilitation program: A mixed methods approach. Heart & Lung, 46(4), 320-327. https://doi.org/10.1016/j.hrtlng.2017.03.004

[17] Lawson, D. W., Stolwyk, R. J., Ponsford, J. L., Baker, K. S., Tran, J., et Wong, D. (2022). Acceptability of telehealth in post-stroke memory rehabilitation: A qualitative analysis. Neuropsychological Rehabilitation, 32(1), 1-21. https://doi.org/10.1080/09602011.2020.1792318

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] Damhus, C. S., Emme, C., et Hansen, H. (2018). Barriers and enablers of COPD telerehabilitation–a frontline staff perspective. International Journal of Chronic Obstructive Pulmonary Disease, 13, 2473-2482. https://doi.org/10.2147/COPD.S167501

[21] Niknejad, N., Ismail, W., Bahari, M., et Nazari, B. (2021). Understanding telerehabilitation technology to evaluate stakeholders’ adoption of telerehabilitation services: A systematic literature review and directions for further research. Archives of Physical Medicine and Rehabilitation, 102(7), 1390-1403. https://doi.org/10.1016/j.apmr.2020.12.014

[22] Papathanasiou, J. V., Petrov, I., Tokmakova, M. P., Dimitrova, D. D., Spasov, L., Dzhafer, N. S., Tsekoura, D., Dionyssiotis, Y., Ferreira, A. S., Lopes, A. J., Rosulescu, E. et Foti, C. (2020). Group-based cardiac rehabilitation interventions. A challenge for physical and rehabilitation medicine physicians: A randomized controlled trial. European Journal of Physical and Rehabilitation Medicine, 56(4), 479-488. https://doi.org/10.23736/S1973-9087.20.06013-X

[23] Li, F., Harmer, P., Fitzgerald, K., Eckstrom, E., Stock, R., Galver, J., Maddalozzo, G et Batya, S. S. (2012). Tai chi and postural stability in patients with Parkinson’s disease. New England Journal of Medicine, 366(6), 511-519. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1107911

[24] Bertisch, H., Rath, J. F., Langenbahn, D. M., Sherr, R. L. et Diller, L. (2011). Group treatment in acquired brain injury rehabilitation. The Journal for Specialists in Group Work, 36(4), 264-277. https://doi.org/10.1080/01933922.2011.613901

[25] Lemieux, J., Abdollah, V., Powelske, B., et Kawchuk, G. (2021). Comparing the effectiveness of group-based exercise to other non-pharmacological interventions for chronic low back pain: A systematic review. PLoS One, 15(12), e0244588. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0244588

[26] O’Keeffe, M., Hayes, A., McCreesh, K., Purtill, H., et O’Sullivan, K. (2017). Are group-based and individual physiotherapy exercise programmes equally effective for musculoskeletal conditions? A systematic review and meta-analysis. British Journal of Sports Medicine, 51(2), 126-132. http://dx.doi.org/10.1136/bjsports-2015-095410

[27] Van der Bij, A. K., Laurant, M. G. H., et Wensing, M. (2002). Effectiveness of physical activity interventions for older adults: A review. American Journal of Preventive Medicine, 22(2), 120-133. https://doi.org/10.1016/S0749-3797(01)00413-5

[28] Leach, H. J., Mama, S. K., et Harden, S. M. (2019). Group-based exercise interventions for increasing physical activity in cancer survivors: A systematic review of face-to-face randomized and non-randomized trials. Supportive Care in Cancer, 27(5), 1601-1612. https://doi.org/10.1007/s00520-019-04670-y

[29] Dumoulin et al., op. cit.

[30] O’Keeffe et al., op. cit.

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