REGARD SUR L'ACTUALITÉ — Le futur algorithmique de la musique

Marie-Françoise Malo — Programme de doctorat en bioéthique

REGARD SUR L’ACTUALITÉ — Le futur algorithmique de la musique

En 1961, quelques programmeurs ont réussi à faire chanter la chanson Daisy Bell à l’ordinateur IBM 7094. Soixante-deux ans d’améliorations technologiques mettent maintenant de l’avant les questions éthiques, juridiques et législatives liées au droit d’auteur des algorithmes qui permettent de créer de la musique grâce à l’intelligence artificielle. 

En avril dernier, une soi-disant collaboration entre The Weeknd et Drake, Heart on My Sleeve, est apparue sur Internet. La chanson, réalisée par l’utilisateur Ghostwriter977, est un hypertrucage audio, ou deepfake, c’est-à-dire une piste audio donnant l’impression d’être interprétée par les deux artistes canadiens alors qu’aucun d’entre eux n’a vu la partition ni accepté d’y prêter sa voix [1]. Pour une des premières fois de l’histoire, une musique et des paroles originales semblent avoir été créées par un auteur-compositeur et interprétées par un artiste tandis qu’elles étaient le fruit de l’intelligence artificielle (IA).

Universal Music Group, la marque de disques représentant Drake et The Weeknd, a vite retiré la chanson du Web. L’entreprise a expliqué que Ghostwriter977 avait enfreint les lois en incluant, au début du morceau, une portion protégée d’une composition du producteur musical Metro Boomin [2]. Cette subtilité juridique démontre l’ampleur des questions éthiques et juridiques relatives au droit d’auteur auxquelles doivent répondre plusieurs pays [3] par rapport au développement et à la diffusion de plus en plus rapide de l’IA en musique.

Pour ce faire, le gouvernement canadien, qui a entrepris en 2021 une consultation visant la refonte de la Loi sur le droit d’auteur [4], s’est déjà montré ouvert à élargir le statut d’auteur à un algorithme d’IA [5]. De son côté, le Bureau du droit d’auteur des États-Unis, même s’il n’a aucun pouvoir législatif, a réaffirmé en mars dernier que la portée des lois encadrant le droit d’auteur ne pouvait s’étendre aux algorithmes d’IA [6]. Aucune mention n’est toutefois faite des humains ayant élaboré les compositions et qui pourraient éventuellement revendiquer des droits sur celles-ci. De plus, les algorithmes sont entraînés sur des œuvres existantes afin de reproduire la voix d’un ou d’une artiste, des œuvres elles-mêmes protégées par des droits d’auteur et dont l’utilisation doit s’accompagner de redevances aux artistes les ayant créées [7].

Des journalistes se sont demandé si Heart on My Sleeve, dont les paroles ont été écrites par Ghostwriter977, serait admissible au Grammy de la meilleure chanson rap de l’année, le trophée visant à souligner la composition d’une œuvre et non son interprétation. L’organisation des prix Grammy a par contre affirmé que le deepfake ne serait pas dans la course, en raison de son manque de distribution de même que du flou éthique et juridique entourant sa création [8].

D’importantes questions sur les implications de l’IA dans l’art continueront de se poser dans les années à venir. Universal Music Group vient justement d’annoncer un partenariat avec BandLab afin d’élaborer des cadres de gouvernance pour l’utilisation de l’IA en musique [9]. L’issue du dossier, certes déterminante pour les artistes du Canada, pourrait d’ailleurs influencer tout l’univers culturel.

Références

[1] Mullen, M. (2022). A new reality: Deepfake technology and the world around us. Mitchell Hamline Law Review, 48(1), 210‑234. https://open.mitchellhamline.edu/mhlr/vol48/iss1/5

[2] Reed, R. (2023, 2 mai). AI created a song mimicking the work of Drake and The Weeknd. What does that mean for copyright law? Harvard Law Today. https://hls.harvard.edu/today/ai-created-a-song-mimicking-the-work-of-drake-and-the-weeknd-what-does-that-mean-for-copyright-law/

[3] Commission de l’éthique en science et en technologie. (2023, 21 septembre). Intelligence artificielle générative : vers un nouveau régime de droit d’auteur ? Éthique hebdo. https://www.ethique.gouv.qc.ca/fr/actualites/ethique-hebdo/intelligence-artificielle-generative-vers-un-nouveau-regime-de-droit-d-auteur/

[4] Centre de services aux citoyens d’ISDE. (2021). Consultation sur un cadre moderne du droit d’auteur pour l’intelligence artificielle et l’Internet des objets (publication no 78-0-660-39601-9). Innovation, Sciences et Développement économique Canada. https://ised-isde.canada.ca/site/secteur-politique-strategique/fr/politique-dencadrement-marche/politique-droit-dauteur/consultation-cadre-moderne-droit-dauteur-pour-lintelligence-artificielle-linternet-objets

[5] Munjal, N. et Macklai, S. (2022, 21 mars). Canada’s first AI-authored copyright registration paints a picture of uncertainty. IP Osgoode. https://www.iposgoode.ca/2022/03/canadas-first-ai-authored-copyright-registration-paints-a-picture-of-uncertainty/

[6] U.S. Copyright Office. (2023). Artificial intelligence and copyright. Federal Register, 88(167), 59942-59949. https://www.govinfo.gov/content/pkg/FR-2023-08-30/pdf/2023-18624.pdf

[7] Senftleben, M. (2023). Generative AI and author remuneration. International Review of Intellectual Property and Competition (SSRN), 54. http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.4478370

Gordon-Levitt, J. (2023, 26 juillet). If artificial intelligence uses your work, it should pay you. The Washington Post. https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/07/26/joseph-gordon-levitt-artificial-intelligence-residuals/

[8] Aswad, J. (2023, 8 septembre). AI-generated Drake and Weeknd song “Heart on My Sleeve” is not eligible for a Grammy, recording academy chief clarifies. Variety. https://variety.com/2023/music/news/drake-weeknd-heart-on-my-sleeve-not-eligible-for-grammy-1235717602/

[9] Universal Music Group. (2023, 18 octobre). Universal Music Group and Bandlab Technologies annouce first-of-its-kind strategic AI collaboration. https://www.universalmusic.com/universal-music-group-and-bandlab-technologies-announce-first-of-its-kind-strategic-ai-collaboration/

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