CHRONIQUE — La charge mentale de la réconciliation

Melissa Mollen-Dupuis

CHRONIQUE — La charge mentale de la réconciliation

Melissa Mollen Dupuis est une militante, Innue de la communauté d’Ekuanitshit. Elle anime entre autres présentement l’émission hebdomadaire Kuei! Kwe! à la chaîne Ici Première de Radio-Canada. Elle est également responsable de la campagne Forêts à la Fondation David Suzuki.

Pour commencer cette première chronique, je ne passerai pas par quatre chemins pour vous parler de la charge mentale des membres des communautés autochtones québécoises et canadiennes : nous portons le fardeau de la réconciliation. Et je peux aujourd’hui prédire que le lot de travail n’ira pas en diminuant dans l’avenir.

Depuis 2021, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, célébrée le 30 septembre, est enfin devenue une commémoration fédérale reconnue. Cette date correspond aussi à une période de l’année où je suis très occupée professionnellement, plus encore que lors de la Journée nationale des peuples autochtones, soulignée le 21 juin de chaque année.

J’ai eu le bonheur, dès 2002, de célébrer les peuples autochtones au Jardin des Premières-Nations du Jardin botanique de Montréal, où je travaillais comme animatrice. À l’époque, les questions que le grand public me posait portaient sur l’artisanat que je faisais sur place, sur les plantes médicinales qui poussaient au Jardin et sur toute la culture matérielle qui concernait les Premières Nations. Les savoirs du public au sujet de ces peuples étaient alors extrêmement limités. Les gens me parlaient surtout des Iroquoiens et des Algonquiens. Si un visiteur ou une visiteuse connaissait le nom des 11 nations autochtones du Québec, mon regard étonné disait vraiment tout…

Avant 2012, année de la mobilisation des communautés autochtones dans le mouvement Idle No More visant une plus grande reconnaissance par le gouvernement, la Journée nationale des peuples autochtones était souvent considérée comme un rappel de l’existence de ces peuples dans l’esprit de la population québécoise. Les célébrations annonçaient non seulement le début de l’été et des vacances, mais surtout l’arrivée de la fête de la Saint-Jean-Baptiste (aujourd’hui nommée Fête nationale du Québec).

L’arrivée du mouvement Idle No More sur la place publique a levé le voile sur le manque de connaissances générales de la population envers les peuples autochtones, constaté notamment par la nature des informations que partageaient les institutions gouvernementales et les médias. Ainsi, malgré l’intérêt grandissant des citoyennes et des citoyens pour les Premières Nations, la profondeur des savoirs dans la société restait effectivement limitée.

Depuis, de nombreuses situations ont mis en lumière encore plus d’angles morts quant aux connaissances de la société par rapport aux réalités des communautés autochtones. La Commission de vérité et réconciliation, la commission Viens, les enjeux auxquels font face les femmes autochtones, le racisme systémique, les lieux des présumées sépultures des enfants qui ne sont pas rentrés des pensionnats et les droits territoriaux ancestraux en sont des exemples. La discussion sur les fauxtochtones, qui a refait surface très récemment dans les médias à la suite de révélations sur les origines de l’icône Buffy Sainte-Marie, figure également parmi ces situations.

Depuis 2002, année où j’ai commencé à travailler au Jardin des Premières-Nations, les invitations à faire des entrevues, à participer à des panels et à des présentations dans toutes sortes d’institutions et à m’exprimer ouvertement sur différentes problématiques entourant les réalités autochtones ont plus que décuplé. Aujourd’hui, les intervenantes et intervenants autochtones sur la place publique ne suffisent plus à la demande.

Cette année, je discutais avec des proches et des collègues du fait que je ne prendrai plus la parole et n’accepterais plus d’engagements pendant la Journée nationale des peuples autochtones ni pendant la Journée de la vérité et de la réconciliation. Ces journées seront désormais consacrées à ma vie de famille et à ma communauté. Je veux les célébrer et non les travailler. Cependant, elles apportent tout de même leur lot de travail en amont, autant sur le terrain que derrière les courriels. À l’approche du 30 septembre, pour chaque invitation à laquelle je peux répondre de façon positive, je dois en décliner six à dix.

La charge de travail découlant de la réconciliation ne devrait pas diminuer dans un avenir proche. Cependant, alors que l’intérêt entourant les enjeux autochtones est maintenant clair, les représentantes et les représentants de ces communautés demeurent trop peu nombreux. Sur la place publique, leur voix ne s’entend pas suffisamment. L’écho du vide est assourdissant. Si cet intérêt venait à diminuer avant que la justice de base à laquelle toutes les communautés autochtones aspirent n’ait été atteinte, le Canada aura échoué.

Avec cet imposant lot de travail, la charge mentale associée sera encore portée par des membres des communautés autochtones, du moins à court terme. Pourquoi ? Parce que, pour l’instant, nous devons encore jouer les rôles de patientes et de patients, d’infirmières et d’infirmiers, et de médecins dans cette réconciliation, puisque nous en portons le fardeau. Tant que nos alliés et alliées, c’est-à-dire tous ceux et celles qui participent à la promotion de notre cause, ne réaliseront pas eux-mêmes ce travail en toute confiance, nous resterons sur nos gardes et au rendez-vous afin de nous assurer que notre message sera communiqué de façon claire et efficace.

La fatigue découlant de la réconciliation est désormais ressentie par les représentantes et représentants autochtones, qui répondent aux besoins de leur communauté en portant tellement de chapeaux que leur cou plie… Paradoxalement, au cours des dernières années, le besoin d’accélérer la réconciliation leur a offert la possibilité d’occuper des rôles majeurs tels que des postes de boursières et de boursiers, d’enseignantes et d’enseignants, de juges, rémunérés et bien en vue. Étant déjà submergées, les personnes autochtones n’ont pu y accéder. Leur absence dans ces postes a fait en sorte que des fauxtochtones y ont vu l’occasion de remplir ces mocassins, sachant naviguer à travers les codes sociaux et se mettre de l’avant [1]. Après le grand effacement des derniers siècles apparaît le grand remplacement.

Dans l’avenir, les institutions appuieront-elles les communautés autochtones afin de soutenir la réconciliation ? Le feront-elles quitte à garder l’espace libre pour les jeunes des Premières Nations, à qui la société concède une place alors qu’autrefois, elle les bloquaient ? Pour l’instant, un peu comme certaines personnes reconnaissent qu’elles se trouvent en territoire autochtone non cédé même si les peuples autochtones n’y sont plus présents, les institutions assurent aux communautés autochtones qu’elles existent désormais dans le quotidien des gens, en dehors de leur imaginaire.

Dans ces conditions, même si les membres de ces communautés ne sont pas encore souvent présents dans les médias, qu’ils ne s’affichent pas nécessairement comme autochtones et qu’ils sont sous-représentés dans plusieurs secteurs, ils sont désormais davantage réels pour le public en général et les institutions les reconnaissent. Ils ne sont plus seulement une idée, des peuples lointains, une légende qui date d’une autre époque.


Références 

[1] Leo, G. (2022, 12 octobre). Disrupted history. CBC News. https://www.cbc.ca/newsinteractives/features/mary-ellen-turpel-lafond-indigenous-cree-claims

Lewis, H. (2023, 9 mars). What are “pretendians” and how are they causing “severe harm” to Indigenous communities? Global News. https://globalnews.ca/news/9450313/pretendians-canada-indigenous-ancestry/

Levine, J. (2022, 1er janvier). Activist makes list to bust imposters claiming to be Native American. New York Post. https://nypost.com/2022/01/01/alleged-pretendians-list-exposes-allegedly-fake-native-americans/  

 

Laisser un commentaire