CHRONIQUE — Passez à l'action!

Michel Rochon — Communicateur scientifique

CHRONIQUE — Passez à l’action!

À la suite des menaces qu’a reçues le vulgarisateur scientifique et pharmacien Olivier Bernard – le Pharmachien –  sur les réseaux sociaux et qui ont fait les manchettes en mars dernier, je vous propose un plan de match collectif pour changer les mentalités et faire fleurir l’information scientifique sur les réseaux sociaux.

Ma première chronique pour la revue Dire porte sur un sujet qui nous interpelle tous à l’ère des médias sociaux : il semblerait que l’anonymat que procure le clavier d’ordinateur permette à la haine de s’exprimer plus facilement. Il en résulte des comportements qui existaient certes avant l’arrivée des médias sociaux, mais qui ne bénéficiaient pas de l’effet multiplicateur de cette tribune publique, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour les individus visés.

Il est quand même déconcertant de constater que, en 2019, la science est encore attaquée de toute part. Dans le cas du Pharmachien, les menaces et les tentatives d’intimidation ont déferlé à la suite de sa déclaration que le consensus scientifique ne démontrait aucun bénéfice à l’utilisation de la vitamine C pour contrer certains effets de la chimiothérapie. Cette affirmation, basée sur la recherche scientifique actuelle, est importante pour éclairer à la fois les médecins, les personnes atteintes d’un cancer et le public en général.

Or, le fait que certains individus ayant la conviction du contraire s’attaquent de façon haineuse au messager mérite une réflexion collective non seulement sur le rôle de la recherche scientifique, mais également sur la façon dont nous pouvons ensemble contribuer à remettre les pendules à l’heure.

La crédibilité entourant la science est au cœur du problème. Dans un pays où plus de la moitié de la population possède une éducation collégiale ou universitaire [1], il est quand même surprenant que nous soyons face à une attaque en règle de la science dans plusieurs domaines — terre plate, antivaccins, créationnistes ou pseudosciences de toutes sortes.

Je constate que ces groupes antiscience savent utiliser les médias sociaux. Leurs campagnes de désinformation sont ciblées et efficaces. Depuis quelques années, j’entends souvent de la part de bien des scientifiques et des citoyens une sorte de résignation et de fatalité sur notre incapacité collective à lutter contre cet état de fait. Je pense que cette attitude ne tient pas compte du pouvoir encore silencieux et inutilisé de centaines de milliers d’internautes dont je suis, et dont vous faites partie. Il est peut-être impossible de faire taire ces groupes, mais nous devons certainement nous affirmer, et avec intelligence.

Il y a d’abord tous ceux et celles qui font de la recherche au Québec. Selon Statistique Canada [2], plus de 66 000 professionnels travaillent dans le monde de la recherche et du développement scientifique au Québec. Je suis convaincu, même si je n’en ai pas la preuve, que c’est beaucoup plus que le nombre absolu d’activistes antiscience œuvrant à leur propagande sur les médias sociaux au Québec. On compte plus de 72 000 étudiants aux cycles supérieurs au Québec [3], et la plupart, on peut le supposer, sont des utilisateurs aguerris des médias sociaux. Tous autant que nous sommes – chercheurs, étudiants, vulgarisateurs de science –, si nous prenions 10 minutes par jour pour faire circuler des nouvelles scientifiques captivantes et pertinentes, des découvertes, des articles de fond ou des brèves à la fois sur Facebook, sur Twitter et sur LinkedIn, nous pourrions engager une révolution faite de centaines de milliers de preuves quotidiennes que la science est là, vibrante, éclairante, instructive et utile.

Je suis convaincu que devant le défaitisme, il faut faire preuve d’optimisme et passer à l’action. Le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval a publié la Synthèse des données canadiennes du Digital News Report 2019[4], qui affirme que « 50 % des francophones au pays se servent de Facebook pour trouver, lire, regarder, partager ou discuter de l’actualité ». Devant cette réalité, une stratégie fort efficace serait donc de faire circuler sur Facebook et les autres médias sociaux de plus en plus d’information scientifique crédible. Vous pourriez ainsi échanger et partager de façon constructive votre analyse de cette information et alors engager un dialogue qui est actuellement trop rare sur les médias sociaux.

Vous pouvez puiser votre information dans de nombreux médias de vulgarisation scientifique québécois ou internationaux et même dans les grandes revues scientifiques. Pour ceux qui me croient un brin naïf dans cette proposition, je peux rapporter ma propre expérience sur mes pages personnelles, que j’alimente quotidiennement de nouvelles scientifiques ; je décèle un vif intérêt de la part du public. De plus, si les médias traditionnels ont toujours limité la quantité d’information scientifique, les médias sociaux, eux, sont sans limites. Profitons-en pour battre des records et dépasser le nombre de sites antiscience, et, qui sait, dépasser le nombre de photos de chats ! Faisons des médias sociaux un lieu d’échange constructif sur les grands enjeux de la science. Nous sommes trop nombreux et trop pertinents pour ne pas tenter d’y parvenir.

[1] Statistique Canada. (2017, 29 novembre). La scolarité au Canada : faits saillants du Recensement de 2016. Repéré à https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/171129/dq171129a-fra.htm

[2] Scientifique en chef du Québec. (s.d.) Personnel de recherche : hausse de la proportion de chercheurs. Repéré à http://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/chiffres-cles-recherches/1-3-personnel-de-recherche-hausse-de-la-proportion-de-chercheurs/

[3] Banque de données des statistiques officielles sur le Québec. (2017) Tableau statistique :effectif à l’enseignement universitaire selon diverses variables, au trimestre d’automne, Québec. Repéré àhttp://www.bdso.gouv.qc.ca/pls/ken/ken213_afich_tabl.page_tabl?p_iden_tran=REPERX7CTJQ2483435897240YZK3Y&p_lang=1&p_m_o=MEES&p_id_ss_domn=825&p_id_raprt=3419

 

[4] Charlton, S. et Leclair, K. (2019). Digital News Report Canada. Synthèse des données canadiennes. Québec : Centre d’étude sur les médias, Université Laval. Repéré à https://www.cem.ulaval.ca/publications/dnr-2019-canada-fr/?fbclid=IwAR229i_c-zJinYHN-4KycFOBIM_8aruMFEzIFwVQw8jJH3SghFbJZfWx0jA

Michel Rochon dans les médias

Pendant une trentaine d’années, Michel Rochon a pratiqué le métier de journaliste scientifique et médical à la télévision et à la radio de Radio-Canada. Maintenant à la retraite du diffuseur public, il s’est lancé dans de nouvelles façons de vulgariser la science.

Auteur du livre Le cerveau et la musique, publié aux éditions MultiMondes, il a été finaliste au prix Hubert-Reeves de l’Association des communicateurs scientifiques du Québec. Il accompagne son exploration du cerveau musical par un concert-conférence qu’il donne au piano à la fois dans les universités, les conservatoires, les cégeps et les maisons de la culture. Cette nouvelle forme de médiation par l’entremise de l’art lui fait comprendre à quel point les émotions jouent un rôle important dans la transmission des savoirs.

Au fil des ans, il a aussi collaboré à de nombreux magazines, quotidiens et webzines, dont L’actualité, La Presse et Québec Science. De plus, il s’implique au Centre Déclic, qui a pour mission de favoriser le partage des connaissances entre les scientifiques et le grand public.

 

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