FICSUM | Fonds d’investissement des cycles supérieurs de l’Université de Montréal

Quelque chose me fascine dans les questions qui entourent le déboulonnement des statues. Faut-il les garder sur leur socle ou les faire tomber de leur piédestal ? Ces questions, bien qu’elles concernent notre lien avec le passé, sont solidement ancrées dans le présent. Notre collaborateur Jeremy John Walling aborde justement, dans l’article « Regard sur l’actualité » (page 9), le cas d’une statue de John A. Macdonald qui a été déboulonnée et décapitée à l’été 2020. Dès lors, une réflexion se dessine : quelle place voulons-nous accorder aux personnages historiques dont l’héritage est controversé ?

Lorsque la rue Amherst est devenue la rue Atateken, mot mohawk qui signifie « rassembleur » ou encore « fraternité », comme l’expliquait Hilda Nicolas, directrice du Centre culturel et linguistique de Kanesatake, dans un article paru en 2019 dans La Presse, j’étais en accord avec ce changement toponymique, et même enchantée de ce geste. Pourquoi ? Parce qu’un nom a une histoire, surtout sur la place publique. Quand cette histoire a plus de mauvais que de bon à nos yeux d’aujourd’hui, la remise en question est importante, voire incontournable. Serge Bouchard, le grand anthropologue et communicateur qui nous a quittés cette année, disait que le nom d’Amherst ne devrait pas avoir une place d’honneur à Montréal, vu son implication dans la tentative d’éradication des peuples autochtones. Laurent Turcot, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières, abonde dans le même sens : une société peut, et doit, faire évoluer son lien avec le passé. Dans une entrevue publiée le 14 novembre dernier aussi dans La Presse, « On n’est pas en train de javelliser l’histoire », il raconte comment, lors de la Révolution française, de nombreux symboles de l’Ancien Régime ont été détruits par les révolutionnaires, notamment les statues. Comme solution au débat sur la place des statues de personnages historiques dont l’héritage n’est pas que glorieux, l’historien aime bien l’idée de rassembler ces statues dans un musée, pour les faire parler mieux et de façon plus neutre que dans l’espace public, où leur voix est moins nuancée et souvent mise en sourdine par le tumulte des va-et-vient sociaux. J’aime aussi beaucoup cette idée. Et je retiens cette phrase du professeur Turcot, qui fait écho à mes propres pensées : « Dans tous les cas, [je suis] satisfait de constater que l’histoire [est] mouvante dans l’espace public. »

Comme lui, je n’ai certainement pas toutes les réponses à ces questions, mais y réfléchir, et voir d’autres faire de même, me semble nécessaire.

J’espère que ce numéro saura vous inspirer, nourrir votre esprit et gagner votre cœur. Une très heureuse année 2022 à toutes et à tous !

Marie-Paule Primeau
Rédactrice en chef